Fukushima : le retour à la normale reste une perspective lointaine pour ses habitants

Société

Suzuki Hiroshi [Profil]

Six ans après la catastrophe survenue à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, les autorités ont levé les consignes d’évacuation concernant quatre municipalités situées autour de la centrale et autorisé les habitants à revenir chez eux pour la première fois depuis la fusion des réacteurs. L’auteur de cet article, qui est impliqué dans la planification de la reconstruction depuis l’émission des consignes d’évacuation, plaide pour l’adoption d’un plan multidimensionnel, apte à répondre aux besoins complexes des personnes qui sont rentrées chez elles comme des évacués qui continuent de vivre ailleurs sous ce statut.

Le rêve perdu d'un retour à la maison

Le mémoire de Sasaki Yasuko relatant les années qu’elle a passées en logement provisoire.

La situation est encore pire pour les gens dont les maisons sont toujours assujetties aux consignes d’évacuation en vigueur. Sasaki Yasuko, qui a été évacuée de sa maison à Namie, a passé tout le temps qui s’est écoulé depuis la catastrophe dans un logement provisoire du bourg de Koori. Dans un récit de 90 pages relatant sa vie d’évacuée sous le titre « Sous un ciel radioactif effroyable », elle écrit ceci : « Je ne veux pas mourir en logement provisoire. C’est tout ce que je demande. Tout le monde parle de tirer un trait là-dessus et de mettre un point final à la catastrophe ; mais je ne veux pas que ma vie finisse comme cela [...] Depuis la catastrophe, il semble qu’il y ait, partout où je vais, des slogans visant à nous galvaniser. Mais que puis-je faire de plus que ce que je fais déjà ? J’aimerais bien que quelqu’un me dise ce que je suis censée faire. »

Ma dernière rencontre avec Sasaki Yasuko remonte au printemps 2013. Elle habitait encore un logement provisoire et travaillait à la réalisation d’un modèle réduit de sa maison de Namie, en s’efforçant désespérément de reconstruire de mémoire un endroit qu’elle pensait ne jamais revoir. Environ un mois plus tard, j’ai appris qu’elle avait été hospitalisée et qu’elle était décédée. Elle avait alors 84 ans. J’ai aussi entendu qu’avant d’entrer à l’hôpital elle avait brisé son modèle réduit en mille morceaux.

Sasaki Yasuko vers la fin de sa vie en train de travailler à la confection d’un modèle réduit de sa maison abandonnée de Namie. (Photo prise par l’auteur en 2013)

J’ai eu de nombreuses autres occasions de parler à des gens ayant leurs maisons en zone d’« interdiction indéfinie d’habitation ». Plusieurs m’ont dit que, à l’occasion d’une visite furtive en vue de faire le ménage chez eux, ils avaient trouvé leur maison dans un état chaotique provoqué par des intrusions de sangliers et autres animaux sauvages. Les habitants ont demandé aux autorités de faire quelque chose pour remédier à ce problème. « Ne pouvez-vous pas attraper les sangliers ? » ont-ils voulu savoir, « ou pour le moins embaucher quelqu’un pour les empêcher d’entrer dans nos maisons ? » Mais les hauts niveaux d’irradiation font bien trop peur à tout le monde, et aucune entreprise n’a accepté de se charger de ce projet.

Confrontés à de telles difficultés et à de tels affronts, les gens se montrent de moins en moins empressés à rentrer chez eux. Ils disent que les radiations ont tout détruit à la racine – histoire, culture, communauté – et ils se demandent si ce genre de perte peut être compensé par une indemnisation, aussi élevée soit-elle. Dépouillé de leur héritage local, bien des habitants des zones affectées continuent de déplorer les répercussions culturelles de la catastrophe.

Suite > Un soutien aux personnes qui reviennent chez elles

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Fukushima nucléaire

Suzuki HiroshiArticles de l'auteur

Professeur émérite à l’Université de Fukushima, spécialiste de la politique du logement et de la planification régionale. A officié comme expert au sein de nombreuses commissions de la préfecture de Fukushima sur le logement public et la reconstruction dans les zones affectées par la catastrophe de 2011 et ses séquelles. A participé à la planification de la reconstruction avec les experts locaux et les fonctionnaires de la préfecture.

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