Des lycéennes exploitées par le « JK business »
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Des offres d’emploi sur les réseaux sociaux
Le terme « JK business » au Japon renvoie aux petites entreprises proposant à une clientèle masculine des services fournis par des lycéennes (JK est l’abréviation de joshi kôsei, soit « lycéennes »). Ces services peuvent prendre diverses formes : faire une promenade ensemble, se rencontrer dans un café ou encore prendre des photos de la jeune fille en tenue cosplay. Certains services proposent même de se serrer dans les bras, de dormir à côté d’elle ou de recevoir un massage.
Selon une enquête de la Police métropolitaine de Tokyo, il y avait 174 agences en janvier 2016 proposant de tels services rien qu’à Tokyo. Depuis qu’un nombre important de ces pratiques ont été signalées suite au renforcement de la loi sur la protection de l’enfance, beaucoup d’entreprises du JK business n’ont plus de locaux fixes. Une connexion Internet et des bureaux à louer temporairement suffisent pour s’occuper des clients et des lycéennes grâce aux réseaux sociaux. Les utilisateurs peuvent choisir sur internet le lieu et la date de la rencontre, ainsi que d’autres critères. De l’autre côté, les lycéennes postulent à travers les sites d’offres d’emploi et les réseaux sociaux.
Aucun sentiment de culpabilité pour certaines
Voici des exemples d’offres d’emploi que l’on peut trouver sur les sites spécialisés dans ce domaine :
« Nous recrutons des lycéennes pour travailler comme guide accompagnatrice ! Salaire horaire élevé garanti si vous postulez maintenant. Beaucoup de lycéennes gagnent plus de 20 000 yens en travaillant trois heures par jour ! »
« CV non requis. Date et heure de l’entretien selon votre convenance. Nous garantissons qu’aucune information personnelle ne sera divulguée. »
« Postulez en toute simplicité. Gagnez de l’argent facilement pendant votre temps libre. Nous sommes associés à des agences artistiques et beaucoup de nos employées trouvent du travail comme mannequin ou dans les médias. »
« Nous sommes une société de premier ordre pleinement agréée. Nous ne vous ferons jamais pression pour accepter un travail. Nous respectons les termes des contrats signés avec nos employées. »
Une des offres mentionne « guide accompagnatrice », mais en réalité le travail consiste à faire des promenades avec les clients. De plus, ces derniers peuvent choisir des options supplémentaires, comme « se tenir par la main » ou « faire du karaoke ensemble ». Certaines entreprises vont bien plus loin, en proposant secrètement à leur clientèle d’avoir des rapports sexuels avec les lycéennes.
D’après un sondage (Institut STEP, mars 2016) mené auprès de 515 collégiens et lycéens de Tokyo, 63 % d’entre eux avaient entendu parler du JK business et 9,5 % connaissaient quelqu’un y ayant déjà travaillé. De plus, une partie considérable des sondés avait un avis positif sur le sujet. En effet, à la question « que pensez-vous des personnes travaillant dans le JK business », 22,9 % avaient répondu « elles le font parce qu’elles ont besoin d’argent, on ne peut rien y faire » et 10,5 % « tant qu’elles prennent du plaisir dans leur travail, il n’y a pas de problème ». De plus, 8,3 % d’entre eux étaient même très intéressés par ce genre de travail, estimant que « c’est une nouvelle manière pour les jeunes étudiantes de gagner de l’argent dans la société actuelle ».
Qu’est-ce qui incite les lycéennes à accepter ce genre de travail et quelle est la réalité du JK business ?
Des jeunes filles manipulées
Yuri, âgée de 18 ans, est en troisième année du lycée et habite à Tokyo. Elle fait partie du club de théâtre de son école et veut intégrer une école spécialisée dans la mode. Pendant une année, de 16 à 17 ans, Yuri a travaillé dans le JK business. Son travail consistait à s’habiller en tenue cosplay de personnages d’anime ou de jeux vidéo, participer à des séances photos dans des chambres d’appartement ou faire du karaoke avec des clients.
À cette époque, Yuri gagnait 20 000 yens par mois (150 euros) en travaillant quelques heures dans des restaurants. Mais son portefeuille se vidait dès qu’elle faisait du shopping ou sortait manger avec ses amis. C’est alors qu’une de ses collègues de travail lui a donné le nom d’un site d’offres d’emploi dans le JK business. Sur la page d’accueil, on pouvait lire : « 20 000 lycéennes inscrites sur notre site », ou encore : « 150 inscriptions aujourd’hui ». Les offres étaient réparties en plusieurs catégories, telles que séance photo, cosplay, karaoke, guide touristique, etc. Il y avait aussi des photos et des commentaires de jeunes filles ayant déjà travaillé pour le site. Bien que méfiante de prime abord, les messages laissés par ces lycéennes expérimentées ont attiré son attention.
« On peut postuler anonymement sur ce site et il n’y a pas de sollicitation agressive. Pas besoin de s’inquiéter de fuites de données personnelles. Le personnel est accueillant et j’ai pu me faire des amies de beaucoup de lycées différents. C’est agréable de travailler ici ! »
En lisant ce genre de commentaires, Yuri s’est dit qu’elle pourrait s’inscrire anonymement. Après tout, l’inscription était gratuite et simple. Elle décide de créer un profil sous le pseudonyme « Momo », en fournissant son âge, son adresse électronique, ses centres d’intérêts et en mentionnant qu’elle était membre du club de théâtre de son école. Peu de temps après, elle reçoit un email du site Internet lui proposant un travail mettant à profit ses compétences, intitulé : « Momo, nous avons une offre d’emploi à vous proposer compte tenu de votre expérience d’actrice ».
« Nous recrutons en urgence des mannequins cosplay pour une séance photo d’une journée. Rémunération : 10 000 yens pour trois heures de travail. Expérience non requise. Notre personnel féminin accueillant vous assistera sur place et fera de son mieux pour que vous soyez bien encadrée. »
Yuri était surprise de lire que le personnel était composé de femmes. En effet, elle s’imaginait que les agences du JK business étaient gérées par des « hommes à l’air intimidant ». Rassurée en lisant que c’était un travail d’une journée et que des femmes seraient présentes sur place pour l’assister, Yuri a tout de suite postulé. Le jour venu, elle s’est rendue sur le lieu du rendez-vous : une chambre d’appartement près d’un quartier animé. Elle sonne à l’interphone avec un peu d’appréhension. C’est alors que trois femmes l’accueillent avec un grand sourire.
Dix clients sont présents, ainsi que quatre lycéennes dont Yuri. Elle n’a qu’à enfiler des tenues cosplay et à être prise en photo. Après le « travail », Yuri reçoit comme promis les 10 000 yens et part ensuite déjeuner avec le personnel et les autres lycéennes. L’ambiance est décontractée et les filles discutent comme des amies. Le trac que Yuri avait ressenti plus tôt s’était dissipé. Au contraire, elle était enchantée à l’idée d’avoir découvert un moyen si simple de gagner de l’argent.
Des lycéennes qui se sentent obligées de travailler
C’est ainsi que Yuri a commencé à accepter régulièrement ce genre d’offres. Elle s’entendait très bien avec les employées du personnel, qui l’aidait dans ses devoirs et lui donnait des conseils en amour. Yuri les considérait comme des sœurs aînées bienveillantes. Dans certains cas, les hommes étaient aussi des frères aînés pour elle : ils lui faisaient des compliments attachants, comme « tu es vraiment mignonne », ou encore « je n’ai jamais rencontré une fille comme toi ».
Voilà comment les lycéennes se mettent à ressentir une certaine obligation envers leurs employeurs. En effet, en plus de recevoir de l’argent, elles sont soutenues et sont accueillies amicalement par les agences. Elles se sentent obligées de redoubler d’efforts pour ne pas décevoir le personnel si prévenant à leur égard. Contrôlées psychologiquement, ces jeunes filles ne savent pas comment refuser lorsqu’elles se voient proposées des offres abusives, comme avoir des relations sexuelles avec les clients.
De plus, certaines agences encouragent la concurrence entre les jeunes filles inscrites sur leurs sites Internet. Elles leur envoient des messages avec un classement par popularité. De meilleures lycéennes bénéficient d’une prime et d’une invitation à des dîner spécial. Des photos de la soirée sont ensuite envoyées à toutes les filles, le but étant d’attiser leur sens de la compétition.
La Police métropolitaine de Tokyo a publié un rapport en mai 2016 visant à établir des mesures contre les infractions sexuelles dans le JK business. Le rapport faisait état d’une hausse du nombre de lycéennes victimes d’attentats à la pudeur et de harcèlements de la part des clients. Il recensait aussi des cas de filles qui voulaient arrêter de travailler, mais qui étaient contraintes de continuer par les agences. La réalité n’est toutefois pas simple à cerner : beaucoup de victimes ne se sentent en mesure de dénoncer le tort qu’elles ont subi. Dans certains cas, elles ne se rendent même pas compte qu’elles sont exploitées.
Il va sans dire que les lycéennes qui s’impliquent dans le JK business sont imprudentes et naïves. Mais on ne peut pas fermer les yeux sur ce problème en considérant que c’est une question de responsabilité personnelle. Attirées par un moyen facile de gagner de l’argent, elles sont entraînées dans un système conçu pour les exploiter grâce à une stratégie commerciale minutieusement élaborée.
Ces entreprises font en sorte d’être aisément accessibles à l’aide des réseaux sociaux et de sites Internet. Elles proposent des rémunérations fortes, la possibilité de devenir une idole (chanteuse, danseuse ou encore mannequin) et un personnel féminin pour les soutenir, les aider à se sentir en sécurité et les encourager à s’impliquer davantage. À qui profite ce système ? Qui obtient une satisfaction de telles relations sexuelles ? En aucun cas les lycéennes. Cette situation est inacceptable.
Il faut toutefois prendre en compte le fait que les agences sont un lieu de refuge pour ces jeunes filles. Alors que le Japon fait face à divers problèmes sociaux tels que l’aggravation de la pauvreté et de la maltraitance des enfants, ainsi que l’affaiblissement des liens familiaux, elles proposent une rémunération et des repas à des lycéennes en perte de repères. Ces dernières ont la possibilité de payer leurs frais de scolarité grâce à l’argent qu’elles gagnent. Elles peuvent se nourrir en sortant dîner avec un client. Et si elles ont des parents violents ou abusifs, l’agence peut les accueillir pour une nuit. Il est certain qu’un environnement familial toxique soit la raison pour laquelle nombre de jeunes filles exploitées taisent leur situation. Sans parents ou proches à qui se confier, elles ne savent pas vers qui se tourner ni comment procéder pour signaler les abus qu’elles subissent.
Le JK business est étroitement lié aux plus sombres aspects de la société japonaise. Outre le risque d’exploitation sexuelle des lycéennes, il reflète la pauvreté et les problèmes familiaux auxquels font face les jeunes d’aujourd’hui.