La peine de mort au Japon : comprendre le point de vue des familles de victimes

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Fujii Seiji [Profil]

Le Code pénal japonais accorde-t-il une importance suffisante aux droits des familles des personnes assassinées ? Le journaliste Fujii Seiji a enquêté auprès de plusieurs de ces familles et émet des doutes sur la thèse abolitionniste de la peine de mort.

La malédiction du schéma « État contre accusé »

Au Japon, la victime n’a pendant longtemps été traitée que comme une des « preuves » dans les procès, mais grâce notamment aux efforts de M. Motomura dont nous avons parlé plus haut, le système a été un peu élargi depuis dix ans pour permettre jusqu’à un certain degré la participation des victimes. Les sanctions ont aussi été renforcées. Mais je ne pense pas que la manière dont le système fonctionne permette d’apaiser un tant soit peu leur désir de vengeance. L’état actuel du droit et du système autour des victimes de crimes n’a pas beaucoup changé depuis l’époque où il limitait leur participation pour protéger les agresseurs.

Le système des jurys populaires est peut-être un succès dans la mesure où il a introduit les « sentiments des citoyens » représentés par les jurés, mais il a abouti à une diminution des opportunités offertes aux familles de victimes de participer au processus de détermination des peines. En effet, la défense, l’accusation et le juge s’entendent lors de la réunion avant le procès sur les preuves qu’ils comptent introduire, et le procès suit le modèle dont les trois parties ont convenu. De plus, la sanction est de fait confiée au juge professionnel. Alors qu’en principe le processus d’appel devait accorder la priorité au jugement en première instance, les choses ne se passent pas en réalité de cette façon.

Mais plus encore que cela, les avocats japonais ne sont pas encore sortis du schéma selon lequel le procès oppose l’accusé à l’État. En d’autres termes, ils continuent à penser qu’élever la position des victimes ne peut qu’entraîner une baisse du droit qu’a l’accusé d’être défendu. Un manuel rédigé par la Fédération des associations des barreaux du Japon recommande dans le cas de procès où la peine de mort est possible de ne pas laisser parler l’accusé, de ne pas permettre aux victimes de participer et de ne pas les laisser exprimer leur opinion. Certains avocats respectent scrupuleusement ces recommandations (même si tous les avocats japonais ne sont pas favorables à l’abolition de la peine de mort). Cette vision de la « justice » heurte les sentiments des victimes. Je ne vois, dans les arguments des partisans de l’abolition de la peine de mort ou de sa non-application, aucune sympathie pour la vie perdue des victimes, mais une sympathie qu’ils réservent à la vie de l’auteur du crime.

Renforcer les droits des victimes

Comme la peine de mort est irréversible une fois qu’elle a été appliquée, la justice doit à tout prix éviter les erreurs judiciaires. Mais cela est aussi le cas pour tous les procès. Les victimes de crimes ne peuvent assurément pas supporter l’idée qu’une erreur judiciaire a été commise, et que le véritable auteur des faits est encore libre quelque part. Ils souhaitent ainsi plus que n’importe qui qu’il n’y ait plus d’erreurs judiciaires.

Je suis aussi conscient du fait que certains des arguments abstraits, c’est-à-dire ceux qui ne se placent que du point de vue du droit, en faveur de l’abolition, sont plus convaincants que ceux en faveur de son maintien, notamment la possibilité d’une erreur judiciaire, l’impossibilité de déterminer si la peine de mort conduit à une réduction dans le nombre de crimes commis, ou encore l’argument selon lequel il existe trop de zones opaques concernant ce système. Cela ne fait que quelques années que les médias ont eu accès à des salles d’exécution, et tant la vie des condamnés à mort que leur exécution, elles sont tenues secrètes, à l’abri des regards extérieurs (voir article La peine de mort au Japon : un système invisible).

Le Japon fait partie de la minorité de pays où la peine de mort existe encore. Mais dans les autres pays avancés en Europe et ailleurs où elle a été abolie, il existe des infrastructures de soutien aux victimes et des lois qui ont reconnu leurs droits. En accordant aux victimes des crimes une place dans les procès traitant de leur affaire, ces pays ont su s’acquérir la confiance du peuple vis-à-vis de leur procédure pénale. Au Japon, la loi sur les droits des victimes a été adoptée en 2004. Un droit de prendre part au procès et un système de soutien ont été établi. C’est un premier pas. Mais aujourd’hui, ne faudrait-il pas en priorité accentuer davantage leurs droits, avant de discuter de l’abolition de la peine de mort ?

(Photo de titre : Motomura Hiroshi pendant la conférence de presse qu’il a donnée lorsque la peine de mort a été confirmée pour l’assassin de sa femme et de sa fille en avril 1999. À Tokyo, le 20 février 2012. Jiji Press)

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Fujii SeijiArticles de l'auteur

Né en 1965 dans la préfecture d’Aichi, auteur d’essais et de reportages sur des sujets de société, il est chargé de cours à l’Université Aichi Shukutoku. Auteur notamment de Korosareta gawa no ronri (Logique des victimes d'assassinat, Kôdansha +α bunko, 2011), de Shônen A higaisha izoku no dôkoku (L’incarcération de la famille des victimes de l'assassin mineur A, Shôgakukan, 2015) et de Shikei no aru kuni Nippon (Le Japon, pays où la peine de mort existe, avec Mori Tatsuya, Kawade bunko, 2015).

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