La peine de mort au Japon : comprendre le point de vue des familles de victimes

Société

Le Code pénal japonais accorde-t-il une importance suffisante aux droits des familles des personnes assassinées ? Le journaliste Fujii Seiji a enquêté auprès de plusieurs de ces familles et émet des doutes sur la thèse abolitionniste de la peine de mort.

Ce que j’ai appris en couvrant l’affaire de Hikari

J’ai couvert l’affaire de Hikari dès le départ [N.D.L.R. : en avril 1999, un jeune homme âgé de 18 ans a tué une jeune femme qu’il voulait violer, et sa fille, alors âgée de 11 mois. Condamné en première et en seconde instance à la prison à perpétuité, la Cour suprême a confirmé en février 2012 que ces jugements étaient cassés et l’a condamné à mort], et j’ai rencontré à de nombreuses reprises le mari de la victime, Motomura Hiroshi. J’ai écrit plusieurs livres à ce sujet.

Dès le début, M. Motomura avait affirmé que si l’auteur du crime n’avait pas pu être condamné à mort, il aurait souhaité sa libération, afin de pouvoir le tuer de ses propres mains. Au fil des audiences des nombreux procès, il a acquis la conviction que si le criminel n’était pas irréversiblement condamné à mort, celui-ci ne pourrait pas vraiment regretter son crime. Et il a aussi exprimé sa terrible détermination à vivre en se chargeant de la responsabilité de la mort du criminel, si la peine de mort était prononcée. Il n’a dans le même temps cessé de s’interroger pour savoir si son désir de voir cette sentence ultime était vraiment juste pour lui en tant qu’époux et père des victimes.

Après cette affaire, M. Motomura s’est investi dans un mouvement de revendication des droits des familles de victimes d’assassinat. Je crois qu’il souhaitait revendiquer notamment un droit qui leur permet de participer au processus de juger une affaire en tant que partie intéressée, à côté de l’État et du meurtrier. Et son souhait reflète, semble-t-il, son espoir de voir un jour une société sans peine de mort ni crime atroce.

L’abolition de la peine de mort est-elle juste ?

Pour moi, le désir de vengeance naît naturellement, instinctivement, chez un être humain lorsqu’une personne qu’il aime est assassinée de manière absurde. Je sais que la reconnaissance de ce « droit naturel » fait l’objet de discussions, même au sein des spécialistes. Mais si la peine de mort est le moyen qui permet à l’État d’avoir la gestion exclusive de ce désir de vengeance des familles de victimes, il ne faut pas rejeter catégoriquement la peine de mort comme un châtiment cruel qui est une atteinte aux droits de l’homme.

Oui, la peine capitale est sans aucun doute un assassinat commis par l’État, mais elle est appliquée avec pour prémisse l’asymétrie entre la victime et l’agresseur. Peut-on effacer cette prémisse en affirmant que c’est une violence unilatérale de l’État ? Il est naturel qu’une personne dont un ou plusieurs membres aimés de sa famille ont été assassinés éprouve le désir que le meurtrier subisse le même sort et demande l’application rigoureuse de la sentence capitale prévue par l’État. Peut-on le lui refuser au prétexte que la peine de mort est un système barbare qui ne devrait pas être ? Pour ma part, j’ai des doutes sur l’idée que son abolition, en ignorant les sentiments des victimes, soit « juste ».

Je pense que si les familles de victimes de crime de sang au Japon souhaitent le maintien de ce système, c’est parce qu’en même temps d’avoir vécu la perte terrible d’un être cher, le Code pénal japonais leur paraît insuffisant et peu crédible. Les « châtiments », y compris la peine de mort, ne sont rien de plus que le « règlement d’un solde à payer », relatif à un crime, entre l’accusé et l’État. En poussant à l’extrême, on pourrait dire que le châtiment est décidé entre l’État et l’agresseur, même s’il n’a pas un mot d’excuse vis-à-vis de la victime. Qu’elle que soit la pression que la victime mette sur l’État afin qu’il agisse comme son remplaçant dans la vengeance, en appliquant le châtiment le plus sévère prévu, le solde à payer entre l’agresseur et la victime, lui, n’est pas encore réglé. La victime est laissée à l’extérieur, car elle ne peut participer au processus de détermination du châtiment sur un pied d’égalité. Voilà ce qui crée de la défiance chez les familles des victimes.

Suite > La malédiction du schéma « État contre accusé »

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