La peine de mort au Japon : un système invisible

Politique

Mori Tatsuya [Profil]

Le Japon fait partie des rares pays avancés où la peine de mort existe encore. Le documentariste Mori Tatsuya a beaucoup enquêté à ce sujet. Troublé par le fait que 80 % des Japonais sont favorables à son maintien, il soulève les problèmes qu’elle pose.

Le cas de la France

Le Japon constituerait, selon certains, le pays au monde où naissent le plus facilement les best-sellers et les modes. Autrement dit, l’unanimisme est une tendance forte. Les Japonais sont aussi enclins à obéir à ce qui a été décidé par le pouvoir. Cet aspect du caractère national n’est certainement pas sans rapport avec le maintien de la peine de mort.

La France est l’un des derniers pays d’Europe à avoir aboli la peine de mort. L’opinion publique était d’ailleurs favorable à son maintien, mais le pouvoir politique l’a quand même abolie, et par la suite les Français ont changé d’opinion. Ils ont pu constater que la situation sécuritaire ne s’est pas détériorée après son abolition. De nombreux autres pays l’ont abolie en procédant de la même manière, en faisant passer la logique avant l’émotion. Mais au Japon, cela paraît difficile, parce que de nombreux parlementaires craignent de ne pas être réélu s’ils se déclaraient partisans de son abolition.

Les principes de l’économie de marché sont très importants au Japon. La couverture médiatique le montre bien. Les médias choisissent les informations les plus susceptibles de plaire au public, ou les transforment pour qu’elles le soient. Dans le cas d’un meurtre, ils insistent sur la colère et le chagrin des familles des victimes, parce que cela garantit un taux d’audience et des ventes élevés. Leur priorité est de faire en sorte que les informations soient faciles à comprendre. Elles laissent de côté les logiques complexes qui selon eux n’intéressent qu’une minorité, et permettent à la majorité de continuer à se laisser aller à l’émotion. La peine de mort paraît ainsi « juste ».

Partage des informations et place au débat

Il est à noter qu’au Japon, le public dispose de très peu d’informations sur la peine de mort. Les États-Unis font également partie des rares pays avancés où elle existe encore, mais les deux pays sont très différents à cet égard. Aux États-Unis, le public est informé des exécutions. De nombreux États reconnaissent le droit d’y assister non seulement aux familles des condamnés et à celles de leurs victimes mais aussi aux médias. Le public y est exposé, il y réfléchit. Cela a conduit un nombre croissant d’États à déclarer des moratoires sur la peine de mort. Au Japon, il est exclu que quelqu’un assiste à une exécution. Aucune possibilité par conséquent de s’interroger sur ce système.

Cela explique aussi pourquoi les exécutions continuent à se faire au Japon par pendaison, une méthode adoptée par une loi de 1873. Personne ne s’intéresse au fait que la plupart des condamnés qui sont pendus ne meurent pas immédiatement et souffrent pendant plusieurs minutes. Aux États-Unis, les méthodes d’exécution ont évolué avec le temps. Il y a d’abord eu la pendaison, puis la chaise électrique et aujourd’hui, les injections létales. La publication des informations à ce sujet et les débats au sein de l’opinion publique font que ce pays oscille maintenant entre le maintien et l’abolition.

Au Japon, les médias devraient exiger du ministère de la Justice la publication d’informations, mais étant donné que les Japonais ne les demandent pas, les médias n’ont aucune raison de le faire. Et pour l’instant rien ne bouge.

Commençons par partager les informations sur la peine de mort, et passons ensuite aux discussions sur le sujet. Discutons pour comprendre si la peine de mort est vraiment nécessaire, pour identifier les risques que présenterait son abolition, pour savoir ce que ressentent les condamnés à mort, ou encore pour vérifier si le système actuel ne produit aucun effet négatif. Si le Japon décidait de maintenir la peine de mort sur la base de tels débats, je n’aurais plus rien à dire. Mais tant que ce ne sera pas le cas, je continuerai à clamer que le système de la peine de mort dans notre pays est bancal, et qu’elle est appliquée hors de notre champ de vision.

(Photo de titre : ministère de la Justice/Reuters/Aflo. La pièce du lieu d’exécution qui se trouve au sein de la maison d’arrêt de Tokyo. Les exécutants appuient sur les touches et le sol se dérobe sous le poids du condamné qui est alors pendu. Il y a trois touches, afin que les exécutants ne puissent pas savoir lequel d’entre eux a entraîné la mort du condamné.)

 

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Mori TatsuyaArticles de l'auteur

Réalisateur et écrivain, né en 1956 à Kure, préecture de Hiroshima, il est aussi professeur à la faculté de communication et d’information de l’Université Meiji. Après avoir réalisé A, un documentaire sorti en 1998 sur la secte Aum Shinrikyô, puis sa suite A2, il a publié A3, un livre qui a reçu le prix Kôdansha de littérature factuelle. Il est aussi l’auteur de Shikei (La Peine de mort), paru en 2008 chez Asahi Shuppansha puis en 2013 en poche chez Kadokawa Bunko, ou encore de Shikei no aru kuni Nippon (Le Japon, pays où la peine de mort existe), un dialogue avec Fujii Seiji (2015, Kawade Bunko).

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