Le sauvetage des fresques du tumulus de Kitora : un travail de haute précision

Science Technologie

Le village d’Asuka, dans la préfecture de Nara, abrite une grande sépulture – le tumulus de Kitora – dans laquelle les archéologues ont découvert une chambre funéraire ornée de remarquables fresques. Celles-ci représentent plusieurs animaux mythiques, dont l’« oiseau rouge » et le « tigre blanc », ainsi qu’une étonnante carte du ciel. Ces peintures murales réalisées il y a quelque treize siècles ont été soigneusement transférées et reconstituées dans un musée situé non loin de là. Mais ce travail, qui a duré douze années, n’a pas été une mince affaire comme l’explique Hayakawa Noriko, l’auteur de l’article qui suit.

La reconstitution des fresques après leur retrait de la tombe

La phase suivante a consisté à reconstituer les fresques à partir des 1 143 fragments prélevés sur les parois de la chambre funéraire. Les spécialistes chargés de cette opération avaient des doutes sur le degré de résistance des morceaux d’enduit. Ils ont donc renforcé leur face interne avec plusieurs couches protectrices avant de les réunir sur un support rigide. Le choix de tous les matériaux utilisés à ce stade s’est fait par tâtonnements.

Des techniciens en train de reconstituer la fresque de la carte du ciel qui ornait le plafond incurvé de la chambre funéraire du kofun de Kitora.

En 2009, l’Agence des affaires culturelles du Japon a décidé que « pour le moment », les fresques de la chambre funéraire du tumulus de Kitora seraient conservées et exposées dans un espace approprié, situé en dehors de la tombe.  Cette mesure à caractère transitoire n’exclut pas un autre transfert des peintures murales à l’issue des travaux de restauration. C’est pourquoi ces œuvres ont été reconstituées de façon à ce qu’on puisse les dissocier à nouveau, en cas de besoin. Et les matériaux utilisés au cours du processus de restauration ont été eux aussi sélectionnés en conséquence.

La face interne de tous les fragments de fresque retirés de la chambre funéraire du tumulus de Kitora a été renforcée par l’application de différents matériaux.

Pour renforcer l’enduit des fresques, les spécialistes ont choisi des matières susceptibles d’être enlevées, entre autres à l’aide de solvants. Les fragments ont été placés sur des feuilles de polyarylate – un polymère thermoplastique réputé pour ses propriétés thermomécaniques élevées et utilisé notamment dans la fabrication des gilets pare-balles – qui fait partie des matériaux synthétiques employés pour restaurer les biens culturels. Il a fallu un certain temps avant de trouver une matière susceptible de remplir les espaces entre les différents fragments qui soit facile à enlever et ne se rétracte pas au séchage.

Les techniques de restauration de la peinture japonaise

Dans un grand nombre de pays, la restauration des peintures murales est confiée à des organismes spécialisés. Mais au Japon, où ce genre de travail n’est pas très fréquent, ce sont des techniciens de l’Association pour la conservation des trésors nationaux (ACNT) qui ont assurés l’essentiel de la restauration des fresques du tertre funéraire de Kitora. L’ACNT collabore surtout avec l’Agence des affaires culturelles du Japon dans le cadre de la conservation et de la restauration de biens culturels, en particulier de peintures de style traditionnel japonais (nihonga) et de documents écrits.

Les peintures de style nihonga et les manuscrits japonais doivent faire régulièrement l’objet de travaux de restauration et les spécialistes qui s’en chargent ont toujours à l’esprit l’idée qu’après eux, d’autres effectueront à nouveau cette tâche. Dans la plupart des pays, on restaure souvent les fresques en les fixant solidement sur place et en minimisant les différences entre les parties dans leur état d’origine et celles qui ont été restaurées. Au Japon en revanche, chacun sait que les peintures de style nihonga feront ultérieurement l’objet d’autres restaurations et qu’à cette occasion, elles seront déplacées.

Les rouleaux de peinture japonais (kakejiku) sont d’ailleurs constitués de plusieurs pièces et conçus pour être démontés et remontés. Les techniques mises en œuvre au cours de ce processus ont été utilisées lors de la reconstitution des fresques de la tombe de Kitora. De même que la méthode qui consiste à restaurer les peintures de style nihonga « affaiblies » par le temps en fixant en partie leur face extérieure sur de fines feuilles enduites d’une colle que l’on peut facilement dissoudre une fois le travail terminé.

Le projet de transfert et de reconstitution des fresques du kofun de Kitora a réuni dans une étroite collaboration d’une part des spécialistes de la restauration ayant une formation scientifique qui ont choisi les méthodes et les matériaux employés et de l’autre, des experts en matière de nihonga amenés à tester la pertinence de ces choix. La mise en commun des méthodes traditionnelles japonaises et de celles de la science s’est avérée très fructueuse puisqu’elle a permis de sauver un trésor culturel d’une inestimable valeur.

(Photographie de titre : reconstitution d’une fresque de la chambre funéraire du kofun de Kitora à partir de fragments prélevés sur place. Avec l’aimable autorisation de l’Agence des affaires culturelles du Japon)

Tags

patrimoine histoire archéologie

Autres articles de ce dossier