Un répertoire de l’héritage de la culture industrielle du Japon
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Depuis 2007, la Société japonaise des ingénieurs en mécanique a entrepris de répertorier les plus grands succès du génie mécanique japonais. Sur la liste qu’elle a dressée, plusieurs éléments de l’héritage industriel du Japon semblent particulièrement emblématiques de la culture de ce pays. On peut citer les poupées mécaniques karakuri, mises au point à l’époque d’Edo (1603-1868), qui ont peut-être constitué une source d’inspiration pour l’approche spécifiquement japonaise de la recherche-développement dans le domaine des robots industriels.
Une démarche désintéressée
L’utilisation des robots pour le montage, la soudure et d’autres tâches industrielles a commencé il y a environ un demi siècle. Mais depuis quelques années, c’est la volonté de reproduire avec de plus en plus de précision les mouvements de l’homme qui a pris le pas dans le développement de la robotique. C’est ainsi, par exemple, qu’on a vu apparaître des robots infirmiers capables de soulever les patients et d’exécuter d’autres tâches. Il existe aussi des combinaisons robotisées qui accroissent la force des gens qui les portent.
En 2003, une exposition appelée Hommes et robots : de l’utopie à la réalité s’est tenue à la Maison de la culture du Japon à Paris. Y figuraient les œuvres, inspirées des robots, de dix artistes, dont Iwai Toshio, Fujihata Masaki, Yanobe Kenji et Miyajima Tatsuo. Le programme incluait aussi des démonstrations de robots fabriqués par des entreprises japonaises, tels l’humanoïde Asimo de Honda et le chien robot Aibo de Sony.
Aucun de ces robots n’avait la moindre utilité directe. À l’époque, le Japon était pratiquement le seul pays où l’on déployait de tels efforts pour créer des robots qui n’étaient pas destinés à exécuter des tâches utilitaires, et peut-être est-ce encore le cas aujourd’hui. Ces recherches ont certes préparé le terrain pour l’apparition des robots infirmiers et des combinaisons robotisées, mais à l’origine les chercheurs n’avaient pas ce but en tête. Si l’on en croit les conservateurs de musées français qui ont visité l’exposition, la construction de robots sans usage pratique révélait un aspect fascinant de la culture japonaise.
Parmi les objets les plus anciens recensés sur la liste du patrimoine du génie mécanique, figure le Yumihiki dôji (garçon archer), une poupée mécanique karakuri fabriquée dans les années 1820. Œuvre de Tanaka Hisashige, un inventeur d’un grand talent, la poupée, assise sur un socle, prend des flèches, arme son arc et tire en direction d’une cible en exécutant une succession de mouvements précis. Avant d’appliquer son ingéniosité à la fabrication de la poupée archer, Tanaka Hisashige avait étudié le fonctionnement d’horloges importées. Il s’est lancé dans cette entreprise avec un grand enthousiasme et de façon totalement désintéressée, avec pour seule ambition d’imiter le mieux possible les gestes de l’homme, et c’est exactement ce que continuent de faire les concepteurs des robots d’aujourd’hui. J’ajouterai que le robot est conçu pour que sa première flèche manque la cible, qu’il n’atteint qu’à la seconde. L’échec de la première tentative a un côté profondément humain.
La voiture bonsaï
La miniaturisation est depuis longtemps populaire au Japon, comme en témoigne la tradition du bonsaï. Pour s’en tenir à un passé plus récent, Sony doit initialement sa réputation à ses radios transistors, ses télé transistors de huit pouces et ses fameux walkmans, appareils qui sont tous emblématiques de l’ingéniosité requise pour améliorer la compacité d’un produit.
La culture de la miniaturisation a également influencé le design automobile. En 1955, le ministère du Commerce international et de l’Industrie (MITI) a lancé son « projet de voiture populaire ». À l’époque beaucoup de Japonais nourrissaient le rêve de posséder une voiture. Le véhicule conforme à l’idée que s’en faisaient les fonctionnaires de l’instance qui a précédé l’actuel ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie pouvait transporter quatre personnes (ou deux avec 100 kilos de bagages) et rouler 30 kilomètres avec un litre d’essence à une vitesse de 60 kilomètres à l’heure. Il était doté d’un moteur de 350 à 500 cm3 et son prix ne dépassait pas 250 000 yens. Le modèle de taille réduite Subaru 360-K111, sorti en 1958 par Fuji Heavy Industries, a été conçu pour répondre aux desideratas du MITI. Ce fut le premier de tous les véhicules de la catégorie kei (légers), désormais courante. C’était une voiture pour quatre personnes, d’environ 3 mètres de longueur, 1 mètre 30 de largeur et 1 mètre 40 de hauteur. Propulsée par un moteur de 356 cm3 à deux temps et deux cylindres à refroidissement à air, elle avait une vitesse maximale de 83 kilomètres à l’heure. Mais elle n’était pas aussi bon marché que l’avait imaginé le MITI, puisque son prix atteignait 425 000 yens.
La Subaru 360 représentait une évolution par rapport aux scooters, qui constituaient alors la principale ligne de produits de Fuji Heavy Industries. Avec sa cylindrée de moteur à peu près équivalente à celle d’un scooter, cette voiture était emblématique de l’amour des Japonais pour les formes compactes. En 1970, quand la production a cessé, le constructeur en avait vendu 330 000 exemplaires. Inspirés par le succès de la Subaru 360, Mazda, Daihatsu, Mitsubishi et bien d’autres constructeurs automobiles se sont lancés dans la production de voitures kei.
Les véhicules kei ne sont pas taxés aussi lourdement que ceux des autres catégories et, dans les zones mal desservies par les transports publics, les ménages peuvent se permettre de posséder plusieurs voitures de ce genre. Dans la réglementation actuellement en vigueur, c’est la limitation de la cylindrée du moteur à 660 cm3 qui constitue le critère de définition des voitures kei, qui peuvent par ailleurs donner l’impression d’être aussi spacieuses que les modèles de plus grande taille.
La Subaru 360-K111 a été la pionnière des voitures japonaises légères. Ses lignes gracieuses et arrondies évoquent un modèle antérieur : la Coccinelle de Volkswagen.
Voir à l’intérieur
Le gastroscope GT-I d’Olympus fait lui aussi appel aux technologies de la miniaturisation. La découverte des rayons X par le physicien allemand Wilhelm Röntgen a eu un impact majeur dans la mesure où elle a ouvert la voie à l’examen des organes internes des patients. Mais les images que procurent les rayons X sont des ombres portées, qui ne rendent pas compte de la véritable apparence des organes. La mise au point de l’endoscope – une caméra introduite via l’œsophage pour voir et photographier l’estomac et le duodénum – a donc été tout aussi révolutionnaire que la découverte de Röntgen.
L’instrument a été mis au point à la demande de la faculté de médecine de l’Université de Tokyo. Il se composait d’un objectif et d’un dispositif d’éclairage miniatures fixés à l’extrémité d’un tube souple. C’était en 1950. L’introduction des premiers tubes dans l’estomac des patients pouvait être fort désagréable, car ils étaient beaucoup plus gros que ceux des endoscopes d’aujourd’hui. Les tubes étaient alors pourvus d’une embouchure en plastique destinée à empêcher les patients de les mordre. La taille des tubes comme des objectifs a été considérablement réduite entre-temps et certains endoscopes sont désormais équipés de ciseaux qui permettent d’enlever les tissus malins. On utilise des instruments similaires pour voir à travers les murs ou surveiller des lieux où il n’est pas possible d’entrer.
Confort et hygiène
Le Washlet, un WC douche lancé en 1980 par Toto, est devenu un symbole de la culture japonaise moderne. Conçu dans l’idée d’offrir aux utilisateurs le meilleur service en termes de confort et d’hygiène, ce WC est inspiré des toilettes spéciales utilisées dans les établissements de soins. L’emplacement des gicleurs, le volume d’eau et l’angle de pulvérisation ont fait l’objet d’une étude minutieuse.
La concurrence entre Toto et des rivaux tels qu’Inax (aujourd’hui Lixil) et Matsushita (aujourd’hui Panasonic) a généré une amélioration continue du design. Au fil des ans, diverses caractéristiques, telles que les fonctions de bidet, l’éclairage nocturne et l’ouverture automatique des clapets, sont venues s’ajouter au modèle originel. La considération pour les utilisateurs dont témoignent ces toilettes high-tech est quelque chose dont le Japon peut être fier.
(Article initialement publié en japonais le 9 novembre 2016. Photo de titre : Yumihiki dôji, avec l’aimable autorisation du Conseil scolaire de la ville de Kurume)