Le transfert du marché de Tsukiji fait l’objet d’une incertitude croissante
Politique Tokyo 2020- English
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Quinze ans après son lancement, le projet de transfert du plus grand marché aux poissons du Japon de Tsukiji à Toyosu est toujours en suspens. Le 31 août, juste avant la date finalement fixée, Koike Yuriko, la gouverneur de Tokyo nouvellement élue, a repoussé le démarrage des opérations. Depuis lors, diverses enquêtes sur le projet ont mis en lumière de sérieux problèmes, notamment de pollution des sols et de modifications inexpliquées des plans de construction.
Une attente qui coûte cher
La suspension du transfert a hérissé bien des gens, dont Itô Hiroyasu, le président de l’Association du marché de Tsukiji, qui ne s’est pas privé de dire qu’on pouvait se demander si la mairie avait vraiment réfléchi aux coûts encourus par les entreprises de Tsukiji. Celles-ci ont déjà englouti plus de 20 milliards de yens en prévision de leur installation sur le nouveau site, notamment en achats de systèmes industriels de réfrigération et d’élimination des déchets, en frais de fonctionnement des lignes téléphoniques et en équipement des cafétérias et des vestiaires destinés aux employés.
Il faut pourtant reconnaître que Mme Koike n’a pas pris sa décision à la légère et qu’elle a mentionnée divers sujets de préoccupation tels que la sécurité, le coût, le manque de transparence financière et les carences dans l’information du public. Elle a également exprimé son intention de mettre sur pieds une équipe d’experts chargés de creuser le problème et d’élaborer des mesures permettant d’y remédier.
La sécurité du site de Toyosu, une île artificielle de la baie de Tokyo, constitue un sujet d’inquiétude majeur depuis le début du projet. Il a jadis abrité une raffinerie de gaz et les planificateurs du projet ont dû procéder à un nettoyage massif après que des analyses, effectuées en 2008, eurent révélé la présence de benzène et d’autres substances toxiques à des niveaux plus de 40 000 fois supérieurs aux seuils acceptés.
Bouger avant la fin des analyses
Sur le conseil des experts, le gouvernement métropolitain de Tokyo a pris l’initiative de nettoyer le site. En novembre 2014, il a en outre lancé un programme de deux ans de suivi d’échantillons d’eau prélevés dans la nappe phréatique de Toyosu, dans l’espoir d’apaiser les inquiétudes quant aux substances toxiques. Les sept analyses effectuées au mois d’août de cette année ont donné des résultats inférieurs aux seuils acceptés. L’ultime série d’analyses est pévue pour janvier 2017 et Mme Koike s’est fermement élevée contre la décision de programmer le transfert pour le mois de novembre, avant que les analyses aient eu lieu. La décision concernant la date d’ouverture a été prise en concertation entre le gouvernement de Tokyo et les entreprises intervenant sur le marché, mais à mesure qu’approchaient les Jeux olympiques de Tokyo, qui se tiendront en 2020, les responsables se sont laissé gagner par l’impatience de mettre en chantier au plus vite la construction d’une artère vitale qui traversera le site actuel de Tsukiji.
Les entreprises de Tsukiji préféraient de loin reporter le projet au mois de février, car le mois de novembre, où commencent les préparatifs pour le Nouvel An, est une époque de pleine activité. Mais à en croire une personne impliquée dans les négociations, les associations d’entreprises présentes sur le marché se sont pliées à la volonté du gouvernement et ont donné leur accord pour que la date soit officiellement fixée au 7 novembre.
Le mystère de la terre disparue
Quand Mme Koike a annoncé le report de la date de lancement des opérations, l’Association du marché de Tsukiji a réagi en disant que cette décision allait soulever un tollé. Mais jusqu’ici, Mme la gouverneur est restée campée sur sa position. Pour apaiser les tensions, elle a promis de réduire l’impact subi par les entreprises en faisant tout son possible pour résoudre au plus vite les problèmes. Elle a en outre déclaré qu’elle était ouverte à la possibilité d’accorder des dédommagements.
Plongés dans l’incertitude, les vendeurs du marché ont instamment prié le gouvernement métropolitain de prendre rapidement une décision. Mais la situation s’est encore compliquée le 10 septembre, quand les enquêteurs ont découvert des endroits où la couche prévue de terre propre n’avait jamais été appliquée et où le sous-sol était à nu.
Dans le cadre des opérations de nettoyage du nouveau site, les couches supérieures du sol ont été enlevées sur une épaisseur de deux mètres. Une couche de quatre mètres et demi de sol propre a été ajoutée à titre de protection contre la contamination. Mais une fois les travaux achevés, les autorités se sont aperçu que cette opération n’avait pas été effectuée sous les principales installations de vente en gros et d’approvisionnement en produits de la mer, qui recouvrent un tiers de la surface du site.
Personne à blâmer ?
L’absence de la terre, élément essentiel du projet de transfert, est déconcertante. L’approche choisie par les autorités métropolitaines est celle qui lui a été conseillée par un comité d’experts, et les informations sur le projet ont été communiquées au public via divers canaux, dont le site Internet du gouvernement de Tokyo. Elles ont également figurées dans le rapport d’évaluation environnementale rédigé avant le lancement des travaux de construction.
Pour aggraver encore le problème, on a trouvé jusqu’à 20 centimètres d’eau dans le sous-sol des édifices où l’apport de terre n’avait pas eu lieu. Certes, il s’est avéré jusqu’ici que les taux de substances toxiques contenues dans cette eau restaient en deçà des seuils acceptés et les responsables expliquent que les systèmes de drainage et la surveillance régulière de la nappe phréatique seront intégrés dans la conception des sous-sols, mais ces mesures laissent de côté une question plus importante, celle de l’identité des responsables de l’absence de la couche de sol propre qui, en premier lieu, aurait due être apportée, conformément aux recommandations des experts. La plupart des personnes qui ont été à la tête du marché de vente en gros au cours de ces dernières années déclarent qu’elles n’étaient pas au courant du changement de plan.
La gouverneur a fortement critiqué ce fiasco, qu’elle a imputé à une carence systémique inexplicable. Elle s’est engagée à remuer ciel et terre pour aller jusqu’au fond du problème, mais la mauvaise communication chronique qui règne au sein du gouvernement métropolitain fait qu’il est peu probable que la vérité apparaisse au grand jour.
Des appels à tout laisser tomber
Les entreprises de Tsukiji, qui sont sur des charbons ardents depuis le début du fiasco, doutent de plus en plus de l’aptitude du gouvernement à garantir la salubrité du site de Toyosu. Les résultats des huit séries d’analyses publiés le 29 septembre dernier n’ont fait qu’exacerber cette méfiance en révélant que les niveaux de benzène et d’arsenic étaient passés au-dessus des seuils acceptés.
Les marchands de produits de la mer et les grossistes s’inquiètent à juste titre de l’impact que cette situation aura sur leurs résultats financiers. Beaucoup ont dit qu’ils redoutaient que, même si le nouveau site est déclaré sûr, ce qui n’est nullement acquis, il y a de fortes chances que le public se méfie des produits de la mer venant du marché.
À mesure que la situation empire, les membres de l’Assemblée métropolitaine de Tokyo appartenant au Parti communiste ont été les premiers à réclamer l’abandon du projet de transfert. Ils ont été rejoints par un certain nombre de groupes de l’opposition, qui demandent au gouvernement de remettre à l’ordre du jour un ancien projet de rénovation du marché de Tsukiji.
Personne n’aurait pu prévoir qu’un projet pour lequel le soutien des personnes concernées avait été si difficile à gagner se heurterait à un tel obstacle quelques mois avant son achèvement. Alors même que l’issue reste en suspens, les affaires continueront comme à l’ordinaire à Tsukiji. Sans doute Mme Koike respectera-t-elle sa promesse électorale d’accorder la priorité aux Tokyoïtes, mais on est en droit de penser que les répercussions de sa décision se feront sentir dans les ports de pêche d’un bout à l’autre du pays et qu’elle aura un fort impact sur tout le secteur des produits de la mer.
(D’après un original en japonais publié le 3 octobre 2016. Photo de titre : la gouverneur de Tokyo Koike Yuriko en visite au marché de Tsukij, le 16 août 2016. Jiji Press)