La vérité sur le sort des minorités sexuelles au Japon

Politique

Nagayasu Shibun [Profil]

En août 2015, un étudiant en droit de troisième cycle de l’Université Hitotsubashi de Tokyo s’est donné la mort après que son homosexualité eut été révélée publiquement par l’un de ses camarades. Sa famille a porté plainte contre l’université et contre l’étudiant qui s’est gaussé de lui sur les réseaux sociaux. Cet événement dramatique a révélé à quel point les préjugés et la discrimination envers les minorités sexuelles sont tenaces au Japon, contrairement à ce que la popularité de certaines vedettes transgenres des médias pourrait laisser croire.

Des minorités sexuelles tournées en dérision, ignorées et ostracisées

En effet au Japon, quand quelqu’un se présente ouvertement comme un homosexuel ou un transsexuel, il est le plus souvent considéré comme anormal et ridicule, mis à l’écart, complètement ignoré et parfois même victime de violences.

Jusqu’en 1991, le Kôjien – l’équivalent du Robert pour la langue japonaise – a défini l’homosexualité comme une « pulsion sexuelle anormale ». Et il a fallu attendre l’année 1995 pour que la très prestigieuse Académie japonaise de psychiatrie et de neurologie déclare que l’homosexualité n’est pas une maladie mentale en s’alignant sur les critères de diagnostic qui ont cours dans le monde entier. Mais le préjugé datant de l’ère Taishô (1912-1926) qui veut que les relations entre personnes du même sexe constituent une forme de perversion est encore tenace dans une partie de la population de l’Archipel.

Dès qu’un individu ou un phénomène est associé d’une façon ou d’une autre à une minorité sexuelle, il déclenche presque automatiquement une réaction qui se traduit par un ricanement ou un rire gêné. En se réfugiant dans la dérision, les gens essaient sans doute de se rassurer et de persuader les autres qu’ils ne sont pas « comme ça ». Ces railleries sont véhiculées par les chaînes de télévision et elles se propagent ensuite dans les établissements scolaires, les entreprises et l’ensemble du pays.

Toutefois lorsque les gens constatent que l’objet de leurs moqueries n’est plus une vedette du petit écran mais un membre bien réel de leur entourage immédiat, ils prennent en général celui-ci en aversion ou le traitent ouvertement avec mépris.

L’hostilité généralisée du monde du travail vis-à-vis des minorités sexuelles

À l’occasion d’une enquête effectuée en novembre 2015 par l’Institut national de recherches sur la population et la sécurité sociale japonais (NIPSSR) – qui dépend du ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales – et  par un certain nombre de chercheurs universitaires, les personnes interrogées ont été invitées à dire quelle serait leur réaction si elles découvraient que quelqu’un de leur entourage était homosexuel. Un pourcentage plus ou moins élevé d’entre elles a déclaré qu’elles trouveraient cela « déplaisant » ou « relativement déplaisant ». 39 % s’il s’agissait d’un voisin, 42 % dans le cas d’un collègue de travail et 72 % si c’était leur enfant. Par ailleurs, plus de 70 % des cadres d’entreprise âgés de 40 à 49 ans ont affirmé qu’ils « n’aimeraient pas du tout » avoir un collègue homosexuel. D’après les résultats d’une autre étude réalisée en août 2016 par la Confédération des syndicats de travailleurs japonais (Rengô), près d’une personne sur trois serait « hostile » à l’idée de devoir travailler avec des homosexuels ou des bisexuels.

Le refus d’accepter les homosexuels se traduit parfois par des mauvais traitements et des actes de violence. En l’an 2000, trois jeunes – majeurs et mineurs – ont agressé à plusieurs reprises des homosexuels dans le parc de Shinkiba, à Tokyo, et provoqué la mort de l’un d’entre eux. Lors de leur procès, les accusés ont expliqué en partie leur comportement par le fait que « quand les homosexuels sont victimes d’agressions, ils ne portent pas plainte ».

Le manque de tolérance des Japonais repose sur l’idée sous-jacente très courante qu’appartenir à une minorité sexuelle est une affaire qui relève uniquement des secrets d’alcôve et ne met pas en jeu l’être humain dans sa totalité. Les habitants de l’Archipel sont très discrets sur la question des LGBT et cette catégorie de la population est complètement ignorée par la loi et la société. Au point que l’on a parfois l’impression que les minorités sexuelles ne sont pas représentées dans les établissements scolaires, les entreprises et les familles.

Au Japon, le premier jugement concernant les droits des homosexuels a été prononcé en 1994, à propos de l’affaire de l’auberge de jeunesse de Fuchû à Tokyo, survenue en 1991. Cet établissement géré par le gouvernement métropolitain de Tokyo avait refusé d’accueillir dans ses locaux des membres de l’Association japonaise pour le mouvement des lesbiennes et des gays (OCCUR). Le tribunal de district s’est finalement prononcé en faveur d’OCCUR, mais la leçon de cette histoire c’est surtout que la société japonaise préfère ignorer les minorités sexuelles. En 1997, la Haute Cour de Tokyo a été amenée à déclarer ce qui suit : « Les instances gouvernementales doivent traiter les homosexuels avec la plus grande considération en tant que minorité et ils doivent veiller à ce que leurs droits et leurs intérêts soient respectés. Il est inadmissible que des agents de l’autorité publique fassent preuve d’indifférence ou d’ignorance à leur égard ». Pourtant vingt ans plus tard, le Japon n’a toujours pas adopté de loi sur le mariage homosexuel ou sur la protection des droits des minorités sexuelles (voir article La société japonaise et les LGBT).

Suite > Surmonter l’isolement et l’exclusion sociale

Tags

sexe minorité droit de l’homme LGBT

Nagayasu ShibunArticles de l'auteur

Écrivain public et journaliste. Né en 1966 dans la préfecture d’Ehime. Titulaire d’un diplôme de littérature chinoise de l’Université de Tokyo. Il a d’abord travaillé pour une maison d’édition spécialisée dans les sciences humaines et les manuels scolaires avant de s’installer à son compte, en 2001. Il participe aux activités de la communauté homosexuelle. En 2013, il a obtenu l’autorisation d’exercer le métier d’écrivain public et ouvert une officine pour venir en aide aux minorités sexuelles, dans le quartier de Higashi Nakano, à Tokyo. La même année, il a fondé Purple Hands, une organisation à but non lucratif dont il est le secrétaire général. Auteur entre autres ouvrages de Futaride anshin shite saigomade kurasu tame no hon (Comment vivre en couple sans problème jusqu’à la fin de sa vie, éd. Tarô Jirô, 2015) et Dôsei partner seikatsu dokuhon (La vie avec un partenaire du même sexe, éd. Ryokufû, 2009).

Autres articles de ce dossier