La Corée du Sud, « voisin à plaindre » du Japon

Politique

Shigemura Toshimitsu [Profil]

Dix mois se sont écoulés depuis l’accord historique entre le Japon et la Corée du Sud sur la question des femmes de réconfort. Conformément à l’accord, la Corée du Sud a créé la Fondation pour la réconciliation et l’apaisement, et le Japon a décidé de lui accorder rapidement un financement d’un milliard de yens. Les relations entre les deux pays sont en voie d’amélioration. Mais de nombreuses incertitudes demeurent sur la portée de ces progrès. À l’arrière-plan de tout cela se trouvent la culture de la dichotomie propre à la Corée du Sud, et la montée en puissance de la Chine sur la scène politique internationale.

La Corée du Sud est à la fois le pays « le plus anti-japonais au monde », et du point de vue japonais, « voisin à plaindre ». Qui a à gagner d’une détérioration des relations est une question qu’il ne faut pas oublier si l’on veut comprendre la nature de la relation bilatérale. Il y a tout d’abord la Corée du Nord et la Chine, et ensuite, les forces de gauche en Corée du Sud comme au Japon. Bon nombre de Japonais sont utilisées par celles-ci.

Je commencerai par mentionner trois points pour comprendre les relations entre le Japon et la Corée du Sud :

1- La fin de la guerre froide. La menace du communisme a disparu, et la menace nord-coréenne a diminué.

2- L’émergence de la Chine. La Corée du Sud se voit forcée de choisir entre elle ou le Japon et les États-Unis.

3- La culture confucianiste coréenne. Sa pensée est esclave de la dichotomie du bien et du mal.

Les femmes de réconfort absentes du discours présidentiel du 15 août

Le gouvernement sud-coréen a créé fin juillet la Fondation pour la réconciliation et l’apaisement. Les opposants à celle-ci en ont perturbé l’inauguration. Kishida Fumio, ministre des Affaires étrangères a annoncé le 12 août que le Japon lui accorderait dans les plus brefs délais un financement d’un milliard de yens. La présidente Park Geun-hye n’a pas parlé, dans son allocution du 15 août, la fête de l'indépendance de la Corée du Sud, de la question des femmes de réconfort. Elle a ainsi marqué sa distance avec la culture coréenne de « l’éthique du bien et du mal ».

Qu’est-ce que la question des femmes de réconfort ? Un historien sud-coréen l’explique de la manière suivante.

« La question des femmes de réconfort a pris de l’ampleur dans les années 1990. Le Japon niait l’implication de l’armée japonaise dans ce domaine et soulignait que les femmes de réconfort avaient été recrutées par des opérateurs privés. Cela a suscité l’opposition des groupes féministes, et des anciennes femmes de réconfort ont témoigné des horreurs qu’elles avaient vécues. Elles ont lancé une action en justice contre le gouvernement japonais devant le tribunal de Tokyo en exigeant des excuses et un dédommagement (la cour suprême du Japon a rejeté cette plainte en 2004). En Corée du Sud, le Chongshindae Yup (Conseil coréen pour résoudre le problème des unités de volontaires coréens) a été créé et les a soutenues. […] Le gouvernement japonais n’a pas dévié de sa ligne selon laquelle ce problème avait été complètement résolu par le Traité nippo-sud-coréen de 1965. » (extrait de Nikkan rekiishiki tairitsu to rekishi taiwa [L’antagonisme des consciences historiques au Japon et en Corée et le dialogue sur l’histoire], de Chung Jae-jeong, éd. Shinsensha)

Il convient de remarquer que cette explication n’utilise pas les termes de « recrutement sous la coercition ». Le professeur Chung, connu pour faire partie des progressistes, a banni ce mot. On peut l’interpréter comme une reconnaissance de sa part que les femmes de réconfort n’ont pas été recrutés sous la coercition.

Qu’est-ce que la « Déclaration Kôno » ?

Le 4 août 1993, Kôno Yôhei, qui était alors secrétaire général du Cabinet, a fait la déclaration suivante : « Les femmes de réconfort étaient fournies à la demande des autorités militaires, et l’armée impériale japonaise y a contribué directement ou indirectement. Beaucoup de ces femmes de réconfort ont été recrutées contre leur volonté. De plus, les autorités s’en sont, dans certains cas, occupées directement. »

Le Fonds pour les femmes d’Asie, une organisation privée largement financée par le gouvernement japonais, a invité en janvier 1997 sept anciennes femmes de réconfort dans un hôtel de Séoul et leur a remis à chacune un « dédommagement » d’un montant de deux millions de yens, ainsi qu’une lettre d’excuse du Premier ministre. Et elle a convié les médias coréens à y assister. Je pense que c’était une erreur.

Cette initiative a enflammé les activistes qui s’opposaient à cela, et les anciennes femmes de réconfort qui avaient accepté ce « dédommagement » ont été violemment critiquées comme trahissant la communauté nationale. Les médias coréens ont parlé à l'époque de cette façon cavalière de procéder, et du manque de prévenance et de gentillesse pour les anciennes femmes de réconfort. Aucun des dirigeants du Fonds pour les femmes d’Asie et des membres du conseil d’administration ne connaissait la Corée du Sud. Bien au contraire, plusieurs d’entre eux étaient des personnalités qui avaient la défaveur du gouvernement coréen. C’est d’ailleurs leur mauvaise compréhension du peuple sud-coréen qui les avait empêché d’imaginer que ce « dédommagement » choquerait à ce point.

Suite > Les volontaires n’étaient pas des femmes de réconfort

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Shigemura ToshimitsuArticles de l'auteur

Professeur émérite de l’Université Waseda, professeur invité de l’Université Yonsei de Séoul, membre invité du comité éditorial du quotidien Mainichi Shimbun, il est né en 1945 dans la province de Liaoning en Chine. Après avoir étudié le droit à l’Université Waseda, il travaille pour Mainichi Shimbun, où il occupe notamment les postes d’envoyé spécial à Séoul, à Washington et d’éditorialiste. Il devient en 2000 professeur de développement international à l’Université Takushoku, puis enseigne de 2004 à 2016 à l’Université Waseda. Spécialiste de la péninsule coréenne, il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur ce sujet.

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