
L’abdication de l'empereur, pour transmettre son rôle de symbole d’une nation pacifique
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Un empereur entièrement dévoué à sa tâche
Dans le Japon vaincu de l’après-guerre, qui n’était plus qu’un champ de ruines, l’empereur a pris un nouveau départ : il a cessé d’être le chef de l’État pour devenir le « symbole de l’État et de l’unité du peuple », dans une nation démocratique.
Certains des pays alliés souhaitaient vivement poursuivre l’empereur Shôwa comme criminel de guerre, mais le général MacArthur, le commandant suprême des forces alliées au Japon, a décidé de le conserver, pour que l’occupation du Japon se passe sans heurts. Il a convaincu les pays en faveur de cette option radicale que le Japon allait adopter une nouvelle Constitution qui ne laisserait à l’empereur qu’une fonction symbolique, spirituelle et rituelle, dépourvue de tout pouvoir politique, et que cette Constitution comprendrait un article par lequel le Japon renonçait pour toujours à la guerre. C’est cela qui a permis la continuation de la plus ancienne monarchie au monde. Le rôle attribué par la Constitution à l’empereur, qui a un caractère sacré de par sa descendance mythique de la déesse du soleil, et qui est chargé d’accomplir les rites lui incombant à ce titre, était de prier pour la paix et le bien-être du peuple. La famille impériale y a trouvé une raison d’être et a accompli sa mission.
Quand il est monté sur le trône à la mort de son père en 1989, l’empereur a assumé d’emblée ce rôle de symbole, et il s’est lancé dans une série de « voyages de réconciliation » pour exprimer ses remords vis-à-vis des pays d’Asie, d’Europe et d’Amérique qui avaient souffert des guerres d’agression menées par le Japon. Il s’est rendu sur de nombreux champs de bataille à l’étranger, à Saïpan, en 2005, aux Palaos en 2015, et en janvier 2016, aux Philippines où se déroulèrent des batailles majeures pendant la guerre. Au Japon, il a rendu hommage aux victimes du conflit en visitant à plusieurs reprises Okinawa, Hiroshima et Nagasaki. Il fait aussi tout son possible afin que les déshérités du Japon, qu’ils soient victimes de désastres naturels ou personnes souffrant de handicaps, ne soient pas oubliés.
Après le grand séisme de l’est du Japon le 11 mars 2011, il a prié pour le repos de l’âme des quelques 20 000 victimes en se rendant sur les lieux affectés par le tsunami, malgré les problèmes de santé – cancer et cardiaque – dont il souffrait, et il a aussi témoigné son soutien aux personnes ayant dû quitter leur domiciles situés dans les zones d’exclusion établies après l’accident nucléaire de Fukushima. Son attitude a renforcé le respect et l’affection entretenus par les Japonais à son égard.
Tout ceci explique leur stupéfaction en apprenant son souhait d’abdiquer le 8 août dernier, une date qui n’est pas sans importance, puisqu’elle se situe entre les commémorations de Hiroshima, le 6, et celle de Nagasaki, le 9. Ils le comprennent mais ne savent encore comment y faire face.
Sa déclaration exprime clairement son désir de remplir le rôle hautement abstrait de symbole que lui assigne la Constitution, et le poids de cette mission à laquelle il a consacré toutes ses forces. Lui qui s’est rendu dans tout le pays, y compris dans les endroits les plus reculés a dit : « J’ai considéré qu’il était important d’être près des gens, de les écouter, de comprendre leurs pensées. J’ai pu ainsi prendre conscience que ces personnes aiment leur région et soutiennent sans faille leur communauté, et c’est cette prise de conscience qui m’a permis de remplir ma mission en tant qu’empereur, de toujours penser et prier pour le peuple, en ressentant à son égard une profonde confiance et un affectueux respect. Cela m’a apporté le bonheur. »
Il a conclu en dévoilant son inquiétude quant à son propre vieillissement : « Je crains qu’il me devienne difficile de continuer à remplir ce rôle de symbole en m’y consacrant entièrement, physiquement et mentalement. »
Quel avenir pour la Constitution pacifiste ?
L’histoire japonaise offre plusieurs exemples d’empereurs ayant abdiqué tout en gardant un pouvoir politique. C’est pour cette raison que depuis l’époque Meiji, la loi interdit aux empereurs d’abandonner leur trône, et aussi parce que la possibilité d’abdiquer comprenait le risque qu’un empereur soit entraîné dans la politique, ou qu’il soit contraint d’abdiquer, ce qui ne manquerait pas de perturber la lignée impériale.
Jusqu’à la fin de l’époque d’Edo, l’abdication n’avait pourtant rien d’exceptionnel, puisque depuis les temps anciens, ce fut le cas d'environ la moitié des empereurs. À cet égard, l’obstacle à franchir pour réviser la Loi impériale est bien moindre que celui qu’il faudrait surmonter pour faire d’une femme le souverain du Japon. Mais la création d’un statut spécifique pour un ancien empereur, dans la Loi impériale garante d'un système cohérent et durable, basée sur la transmission du trône exclusivement à la mort du précédent, impose une révision de l’ensemble de la réglementation qui y est liée. Ce ne sera pas simple, car il faudra définir les conditions dans lesquelles une abdication est possible, tout comme les relations entre l’empereur ayant laissé le trône et son successeur. Il faudra aussi revoir les rites célébrés dans le palais impérial, ainsi que le protocole. Il est à craindre qu’une révision de cette ampleur nécessite plusieurs années.
Suite à la déclaration de l’empereur, le Premier ministre Abe a créé à l’automne dernier une commission d’experts chargée d’étudier ces questions. Mais le chef du gouvernement n’a jamais caché son souhait de réviser la Constitution actuelle, parce qu’il considère qu’elle a été imposée par le commandement suprême des forces alliées. La victoire de la coalition au pouvoir lors des élections de juillet dernier à la Chambre des conseillers lui a donné la majorité des deux tiers, tant à la Chambre haute qu’à la Chambre basse, pour pouvoir le faire. La « proposition » inattendue de l’empereur ne pouvait à cet égard plus mal tomber, car le Premier ministre pensait disposer du temps nécessaire pour lancer cette révision de la Constitution, pendant son mandat actuel de dirigeant du Parti libéral démocrate, qui s’achèvera l’an prochain. Certains observateurs estiment d’ailleurs qu’elle ne pourra que perturber ce programme.
Le devenir des discussions relatives au désir d’abdiquer exprimé par l’empereur sera sans doute suivi avec beaucoup d’attention au Japon comme à l’étranger. Il est aussi en lien avec celui de la Constitution pacifique du Japon, encore jamais amendée en 70 ans, et perçue comme étant solidement ancrée au sein du peuple japonais.
(Adapté d’un original en japonais écrit le 10 août 2016. Photo de titre : des spectateurs regardent le message vidéo de l’empereur sur un écran géant, le 8 août 2016, dans le quartier de Dôtonbori, à Osaka. Jiji Press.)