Changer le monde… en commençant par les toilettes
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Les débuts d’une action pour l’amélioration des toilettes
Jusqu’à il y a une trentaine d’années, quand on parlait des toilettes publiques au Japon, on avait l’habitude de parler des « 5 K », l’initiale des cinq mots japonais qui définissait l’image des toilettes : kurai, kitatani, kusai, kowai, kowareteiru, c’est-à-dire un endroit « sombre, sale, puant, sinistre et hors-service ». Un groupe de travail se mit en tête d’améliorer cette image. Il s’appelait « Association Toiletopia », et s’était formé à l’appel du think tank auquel j’appartenais avant, le Centre d’échanges régionaux, qui réunissait architecte, designer, paysagiste, médecin, chercheur, responsable d’autorités locales, fabricant d’équipements de santé, entreprise de nettoyage et autres personnes de toutes sortes, et menait des discussions sur les questions d’urbanisme.
Comment est apparue cette prise de conscience d’un problème autour des toilettes ? À l’époque, le Centre d’échanges régionaux s’était penché sur la question des ordures dans les zones touristiques, et nous nous étions aperçu à ce moment qu’il y avait un problème qui avait particulièrement mauvaise réputation auprès des touristes, à savoir celui des toilettes non entretenues, c’est ce qui nous a mis la puce à l’oreille.
L’un des fondateurs de l’Association Toiletopia, M. Ue Kôo a alors relevé, comme l’une des causes du retard pris par les toilettes publiques, le fait que tout ce qui touchait aux toilettes et à ce qui sort du corps était tabou. Effectivement, si les gens ne peuvent pas parler de leur problème, le problème ne risque pas de s’améliorer.
Les premiers signes d’une amélioration de la situation sont apparus en 1984, et les toilettes sont devenues plus adaptées aux besoins de l’époque. Les dix premières années (1984-1994), nous nous sommes efforcés de mettre la lumière sur les toilettes et de rompre le tabou. Durant la seconde période (1995-2005), nous avons ouvert le champ de notre action non seulement aux toilettes en tant que telles, mais aux toilettes dans le contexte scolaire, celui des catastrophes naturelles, et des questions d’environnement. Dans un troisième temps (2006 à aujourd’hui), l’administration, les entreprises et les citoyens ont coopéré à la promotion de projets sur une base constante. Personnellement, c’est à partir de 1997, c’est-à-dire dans cette troisième phase que je me suis impliqué, ce qui a abouti à la création de l’Institut japonais des toilettes en 2009.
Le Japon face au stress des toilettes
L’histoire des toilettes japonaises est une longue succession d’améliorations et de progrès tant au niveau de la plomberie, de l’évacuation des eaux usées et de l’hygiène du lieu, de l’ancestrale fosse à vidanger régulièrement à la chasse d’eau, des toilettes accroupies à la japonaise aux toilettes assises à l’occidentale, jusqu’aux toilettes à siège chauffant et jets de lavage qui font aujourd’hui du Japon le n°1 mondial de la technologie des toilettes. Mais les toilettes ne se limitent pas à un problème technologique.
L’élément essentiel des toilettes se résume en trois mots : ce doit être un endroit « sûr, rassurant et confortable ». Autrement dit, les toilettes doivent constituer un environnement où l’on puisse aller sans stress. C’est cet environnement qu’il nous est demandé de concevoir et de généraliser tant au niveau de la société globale que de la vie quotidienne de chacun.
L’Institut japonais des toilettes s’est principalement attaché aux problèmes de l’environnement des toilettes scolaires, aux questions d’hygiène des toilettes de secours sur les lieux des catastrophes naturelles, et sur l’environnement autour des toilettes dans une société accueillante à la diversité.
Des enfants constipés parce qu’ils se retiennent d’aller aux toilettes
De nos jours, la grande majorité des enfants grandissent en utilisant des toilettes de type occidental, avec siège. Or encore aujourd’hui, un grand nombre d’établissements scolaires primaires ne sont équipés que de toilettes traditionnelles à la japonaise, que l’on utilise accroupi. Ce qui fait que bon nombre d’enfants découvrent les toilettes à utiliser accroupis lors de leur entrée à l’école primaire. De plus, de nombreuses écoles publiques ont été construites il y a plus de 30 ans, et leurs équipements sont souvent détériorés. Aller aux toilettes dans cette situation est un stress pour les enfants.
Selon notre enquête, 40 % des enfants du primaire se retiennent d’aller aux toilettes pour la grosse commission à l’école, et 20 % souffrent de constipation. Afin d’améliorer cette situation, nous apportez des décorations et un assainissement de l’espace des toilettes scolaires et autres toilettes publiques. Nous soutenons également les campagnes de donation aux écoles de toilettes à siège du laboratoire pharmaceutique Kobayashi Seiyaku, et nous donnons dans les classes du primaire des « leçons de caca », avec le concours d’Ôji Napier, un important fabricant de papier, dans lesquels les enfants apprennent combien il est important pour la santé de bien éliminer.
La santé physique et psychologique des enfants passe par un développement urgent de toilettes scolaires où ils puissent aller sans stresser. Quand on se retient, on ne peut pas manger ni apprendre ni faire du sport. D’ailleurs, il n’y a pas d’occasion d’apprendre l’importance des fonctions d’évacuer les excréments du corps à l’école primaire. Il serait nécessaire de coupler l’enseignement de l’hygiène alimentaire à celui de l’hygiène de l’élimination.
Des toilettes insalubres sont un danger de mort
Le système d’évacuation des eaux usées, de la chasse d’eau aux canalisations en passant par l’alimentation électrique pour faire fonctionner les toilettes que nous utilisons quotidiennement est vital. Encore faut-il qu’il soit en état de fonctionnement. Dans le cas d’une catastrophe naturelle comme un tremblement de terre majeur, ou d’une panne d’électricité ou d’eau, les toilettes à chasse d’eau à commande électrique se trouvent à l’arrêt. Lors du tremblement de terre de Hanshin-Awaji (le tremblement de terre de Kôbe) en 1995, celui de Niigata-Chûetsu en 2004, et dans celui du Tôhoku en 2011, l’arrêt du fonctionnement des chasses d’eau a été un vrai problème : les toilettes n’évacuant plus, elles se sont très vite transformées en point de génération de puanteur et d’insalubrité.
Lorsque les toilettes ne sont plus un endroit confortable, les victimes s’efforcent de réduire le nombre de fois où ils auront à s’y rendre en diminuant la quantité de nourriture et d’eau qu’ils ingèrent. Cela diminue encore leur force physique et leurs capacités immunologiques, ou aggrave une maladie chronique déjà présente, pouvant conduire à la mort. La « fatigue physique et mentale dans les refuges » est ainsi devenue la première cause de mortalité liée au tremblement de terre du Tôhoku.
S’il y a une leçon à tirer des expériences passées, c’est précisément que les questions d’hygiène sanitaire en cas de catastrophe naturelle doivent être une priorité absolue. Si nous établissons un protocole efficace et rigoureux de maintien de l’hygiène des toilettes de secours en situation de catastrophe majeure, nous serons en mesure d’apporter une grande aide, non seulement au Japon, mais à l’étranger lors du déploiement de secours internationaux.
C’est la raison pour laquelle notre institut a mis en place depuis 2012 un « Atelier de gestion de l’hygiène sanitaire en situation de catastrophe », sur la base du savoir-faire accumulé jusqu’à présent. Cet atelier forme des personnels capables de créer et mettre en œuvre un environnement sanitaire sain et rassurant sur les lieux d’une catastrophe majeure.
Prise de conscience pour une société ouverte à la diversité
Depuis novembre 2014, l’Institut japonais des toilettes a engagé un nouvel axe d’activité intitulé « Le Japon reçoit le monde entier – Projet Toilettes 2020 », avec l’objectif d’accueillir les Jeux olympiques et paralympiques 2020, et que tous les visiteurs puissent utiliser des toilettes confortables sans distinction de culture, de sexe ou de capacité physique. Depuis lors, nous rassemblons les avis concernant les problèmes rencontrés à l’usage des toilettes, jusqu’à 2000 cas de figure à la date de novembre 2015.
Par exemple, des utilisateurs de fauteuils roulants ou de chiens-guides disent : « Si le sol est mouillé ou sale, ça salit mon fauteuil », ou « je ne peux pas demander à mon chien-guide de se coucher à mes pieds. » Des personnes malvoyantes, ou âgées, ou étrangères, disent : « Il y a trop de boutons, je ne sais pas lequel est la commande de la chasse d’eau. » Des personnes transsexuelles ou qui aident des personnes de l’autre sexe signalent qu’il est difficile d’entrer dans des toilettes réservées aux hommes ou réservées aux femmes.
Outre les installations sanitaires elles-mêmes, il est sans doute nécessaire d’engager des efforts pour la conception de nouveaux matériaux et de repenser le cadre de mise à disposition de l’information auprès du public.
Et puis, écouter les difficultés que rencontre chaque individu à utiliser telles ou telles toilettes permet d’apprendre plus sur les faiblesses ou les handicaps de chacun. Cela suffit à résoudre bon nombre de problèmes. Les toilettes peuvent devenir l’instrument d’une révolution des consciences.
Des toilettes qui rendent les gens heureux dans le monde entier
Enfin, je tiens à mentionner le fait que 2,5 milliards de personnes dans le monde n’ont pas accès à des toilettes saines et hygiéniques. Un milliard d’individus doivent encore faire leurs besoins en plain air. Selon l’UNICEF, sur 6,6 millions d’enfants de moins de 5 ans décédés en 2012, 9%, soit 580 000 enfants, sont morts de diarrhées. Ce problème vital a jusqu’à présent été traité comme distinct de celui de la qualité des toilettes au Japon. Je pense pour ma part qu’il faudrait dorénavant le traiter conjointement.
Tous les êtres humains sur cette terre devraient pouvoir faire leurs besoins à quelque moment que ce soit du jour et de la nuit, dans des toilettes sûres et saines. Ce n’est pas un défi aussi difficile qu’on peut le croire. Des avancées technologiques, l’accumulation de l’expérience et les progrès spectaculaires des technologies de l’information ont changé nos vies dans des proportions qui dépassent l’imagination. Si nous nous appliquons avec le même sérieux et une conscience d’améliorer les toilettes, le même progrès doit être possible dans ce domaine également.
Avec la Coupe du monde de rugby en 2019, les Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo en 2020, un grand nombre de personnes du monde entier vont visiter le Japon. Gestion écologique de l’eau, économies d’énergie, hygiène et propreté, technologies de traitement des eaux usées, transformation des déchets d’origine humaine en ressources, design universel, disponibilité de l’information, soutien des bénévoles ou conception des toilettes temporaires…, les toilettes au Japon seront aussi un élément important de l’appréciation du Japon par les visiteurs étrangers. Je veux faire de cette appréciation une étape vers l’évolution des toilettes japonaise vers l’étape suivante.
(D’après un original en japonais du 17 novembre 2015. Photo de titre : les participants à un événement organisé par l’Institut japonais des toilettes.)▼A lire aussi
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