Le vrai visage de l’extrême droite sur Internet

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Furuya Tsunehira [Profil]

Depuis quelques années, l’extrême droite japonaise anti-coréenne et anti-chinoise renforce sa présence sur Internet. Les discours haineux de plus en plus fréquents suscitent l’inquiétude. Qui sont ces extrémistes, et leur pouvoir va-t-il s’étendre ?

Absence de porte-parole politique

L’extrême droite sur Internet apparue dans ces circonstances ne disposait bien entendu pas d’un parti d’envergure nationale à même de relayer ses opinions politiques. Au Japon, à côté de la mouvance d’extrême droite, il existe également une mouvance progressiste, mais dont la voix, depuis la fin de la guerre, a toujours été relayée par des formations politiques, le Parti communiste (6 millions de voix à la proportionnelle aux législatives de 2014) et le Parti socialiste (1,3 million de voix). Bref, si les internautes d’extrême droite sont plus visibles sur la toile, on peut penser que c’est dû à la frustration liée à l’absence de formation politique capable de porter leur voix.

En cette absence, ces personnes avaient tendance à soutenir individuellement les hommes politiques les plus conservateurs du Parti libéral démocrate (PLD), comme Koizumi Junichirô, Abe Shinzô ou Aso Tarô. Mais, à l’occasion des législatives de 2014, la naissance du Parti pour les générations futures a mis en évidence l’existence de cette frange à la marge du PLD qu’est l’extrême droite sur Internet ; elle en a porté la parole et récolté les voix.

Lors de l’élection du gouverneur de Tokyo au printemps 2014, ce n’est d’ailleurs pas le candidat du PLD, Masuzoe Yôichi, qu’a soutenu l’extrême droite sur Internet, mais un autre candidat, en la personne de Tamogami Toshio. Le Parti pour les générations futures a beau être un parti de droite, il n’a pas noué d’alliance électorale avec le PLD pour les législatives.

L’extrême droite sur Internet et Matrix

Pourquoi certains citadins de la classe moyenne s’abandonnent-ils à leurs sentiments anti-coréens et anti-médias dans le cadre restreint d’Internet ? Le film Matrix (1999, réalisé par Lana et Andy Wachowski) offre un éclairage sur la réponse. Dans ce film de science-fiction, Néo, un informaticien de la classe moyenne employé par une grande entreprise, s’éveille au « monde réel » et lutte contre la matrice, la machine intelligente qui contrôle le monde.

L’extrême droite sur Internet reprend volontiers cette idée d’« éveil », au nationalisme et au sentiment anti-coréen en l’occurrence. Cette vision du monde, selon laquelle le pouvoir en place (celui des grands médias) cache des vérités importantes accessibles uniquement sur Internet, est proche de celle du film Matrix.

Les cours d’histoire fournis à l’école publique japonaise ne sont hélas pas satisfaisants, en particulier en matière d’histoire moderne et contemporaine, et encore plus en ce qui concerne la Seconde Guerre mondiale. Ce système éducatif qui permet aux étudiants de sortir de l’université sans avoir acquis les bases sur l’histoire contemporaine de leur propre pays, ne fournit pas une culture historique suffisamment solide aux jeunes gens.

Le sentiment anti-coréen et le refus du procès de Tokyo si chers à l’extrême droite sur Internet sont, en réalité, les piliers d’une vision historique née des insuffisances du système scolaire japonais et nourrie de discours approximatifs produits en masse sur Internet. L’éducation nationale japonaise, de crainte de susciter des polémiques, a fait l’impasse sur la période de la Seconde Guerre mondiale. Une partie de la population, par paresse intellectuelle, manque cruellement de connaissances sur l’incident de Mandchourie, la stratégie de division en Chine du Nord, les opérations dans le Sud ou encore l’occupation du Japon par les Américains immédiatement après la guerre ; elle sait simplement que le Japon a été frappé par la bombe atomique. La vision de l’histoire véhiculée par l’extrême droite sur Internet tire largement parti des manques dus à l’insuffisance des programmes scolaires.

Pour résumer, une partie de cette génération aux maigres connaissances en matière d’histoire contemporaine s’est tournée vers les discours approximatifs qu’on trouve sur Internet, faits de conspirationnisme et d’identitarisme, pour étoffer ses connaissances : tel est le fondement de la vision historique qui anime l’extrême droite sur Internet. Un processus que cette mouvance qualifie elle-même d’« éveil », superposant ainsi sa propre image à celle du héros de Matrix.

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Furuya TsunehiraArticles de l'auteur

Critique et auteur spécialisé dans les questions relatives à Internet, aux médias de masse et aux jeunes, né en 1982 à Sapporo et titulaire d’un diplôme d’histoire de l’Université Ritsumeikan. Intervenant régulier dans l’émission Time Line sur Tokyo FM. Auteur de La contre-offensive de l’extrême droite sur Internet (Sôwasha, 2013), La droitisation de la jeunesse est-elle réelle ? (Aspect, 2014), La fin de l’extrême droite sur Internet – pourquoi les discours haineux ne disparaissent pas (Shôbunsha, 2015) et Extrême gauche et extrême droite, mensonges des deux côtés (Shinchôsha, 2015), entre autres.

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