La vraie nature du fiasco du nouveau stade olympique

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Katô Hideki [Profil]

Le projet du nouveau stade olympique a été annulé suite aux vives critiques concernant le coût gigantesque de sa construction. Les multiples questions relatives à ce stade destiné à être au premier plan pendant les Jeux olympiques de 2020 symbolisent la structure d’irresponsabilité qui affecte la politique et la bureaucratie au Japon.

Une « politique de la canonnière » qui se trompe d’époque

Pour conclure, faisons la liste des sérieux problèmes parfaitement illustrés par la question du nouveau stade, que posent la politique japonaise, ses politiciens et son exécutif.

Tout d’abord, elle résulte d’un empilement de procédés douteux du point de vue de la loi, complètement opaques, alors qu’il s’agit d’un projet énorme sur le plan financier et sur le plan historique. Alors qu’il a été lancé il y a déjà trois ans, on ne dispose toujours pas d’explications ou d’informations suffisantes à son sujet. Cela prouve que le mot « démocratie » est aujourd’hui vide de sens. Une légitimité exclusivement formelle et vide de contenu pose un grand danger.

Deuxièmement, on ne peut pas laisser passer sans protester cette politique de la canonnière qui n’a rien à faire à notre époque, qui ne sert ni les intérêts de la population ni ceux du pays, et qui ne profite en réalité à personne. Il est même permis de douter que ce projet serve les intérêts du ministère de l’Éducation, de la culture, des sports, des sciences et de la technologie ou du JSC. Des centaines de milliards de yens seront-ils dépensés pour satisfaire leur envie de gloire ? Il ne faut pas oublier qu’en perdant de vue la vraie nature du projet, son objectif, en faisant gonfler son budget et ses dimensions pour servir leurs objectifs personnels, ces gens ont ajouté des centaines de milliards de yens à la dette publique japonaise qui est déjà immense.

Troisièmement, cette question montre qu’une chose décidée ne peut être changée même lorsque 70 à 90 % de l’opinion publique (selon des sondages d’opinion des plus grands journaux), c’est-à-dire de la population et donc des contribuables qui paient ces sommes, y sont opposés. Il s’agit d’un manque d’imagination, d’une absence de sens des responsabilités. Car cette irresponsabilité pourra bien infliger aux Japonais de la prochaine génération des pertes immenses, voire des conséquences tragiques. Et cela à cause du simple désir d’éviter la colère des parties impliquées en cas de changement d’orientation. Regrettablement, tout cela rejoint l’analyse des historiens du processus qui a mené à la Seconde Guerre mondiale.

J’ajouterai qu’il existe un autre bâtiment historique dont la destruction est prévue en vue des Jeux olympiques de 2020 : l’hôtel Ôkura. Cet hôtel de l’architecte Taniguchi Yoshirô, bâti en prévision des Jeux olympiques de 1964, par Ôkura Kishichirô, est un des symboles de l’architecture japonaise moderne, et de la reconstruction du Japon de l’après-guerre.

Aimé de John Lennon et de nombreuses personnalités mondiales, il est aujourd’hui l’objet d’une pétition mondiale contre sa reconstruction. C’est un bâtiment qui fait partie du patrimoine mondial, mais ses gérants et ses actionnaires (parmi lesquels il y a de nombreuses entreprises du BTP et de l’immobilier), ne donnent pas signe de changer d’avis dans leur recherche d’un profit à court terme. Taisei Kensetsu, le principal actionnaire, est aussi un des principaux acteurs de la construction du nouveau stade, ce qui suggère peut-être ce qui arrivera dans le Japon post-olympique.

Deux ans plus tard, on entend enfin aujourd’hui des voix exiger une révision du projet du stade(*3). Mais la réduction des coûts du projet n’est qu’une partie du problème. Des gens qui se sont trompés d’objectif, qui ont décidé des choses en fonction de l’atmosphère de leurs proches, entraîne la société dans son ensemble au bord du gouffre. Il faut saisir ce problème comme l’occasion de briser ce cycle. Maki Fumihiko, l’architecte qui n’a cessé depuis deux ans de s’y opposer, a déclaré à ce sujet : « C’est un drame pour les Japonais, mais une comédie vue de l’étranger ». Pour ma part, je suis persuadé que la seule façon de ne pas en faire un drame est que chacun d’entre nous s’exprime à ce sujet comme s’il le concernait directement.

(D’après un article original en japonais du 16 juillet 2015. Photo de titre : Jiji Press)

(*3) ^ Le gouvernement a annoncé le 17 juillet que le projet de construction du grand stade était annulé, et le 14 août que le nouveau concours s'ouvrirait au début du mois de septembre. —N.D.L.R.

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Katô HidekiArticles de l'auteur

Après des études d’économie à l’Université de Kyoto, il entre au ministère des Finances et en démissionne en 1997 pour créer Japan Initiative, un think-tank. Depuis cette année, il enseigne à la Graduate School of Economics de la faculté d’économie de l’Université de Kyoto. Il est notamment l’auteur de Ajia kakkoku no keizai-shakai shisutemu (L’économie et le système économique des pays d’Asie, Toyô Keizai, 1996), Kinyûshijô to chikyûkankyô (Les marchés financiers et l’environnement planétaire, Diamond, 1996), ou encore Dôrokôdan kaitaipuran (Un plan de démantèlement de la Régie des autoroutes du Japon, Bungei Shunjû, 2001).

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