IA : l’intelligence artificielle et le renouveau de l’industrie manufacturière au Japon

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Matsuo Yutaka [Profil]

Les pays occidentaux et la Chine s’intéressent de très près à l’intelligence artificielle (IA) et ils sont en train d’investir massivement dans ce secteur de pointe. Matsuo Yutaka, un spécialiste de tout premier plan en la matière, s’attache ici à démontrer qu’en dépit de son retard, le Japon a les moyens de s’illustrer dans ce domaine et que ceci devrait lui permettre de redynamiser son industrie manufacturière.

Les pionniers japonais de l’apprentissage profond

Pourtant, les Japonais ont un potentiel en matière d’intelligence artificielle qu’on ne saurait sous-estimer.

Les idées qui ont servi de base au concept d’apprentissage profond ont été émises pour la première fois par des chercheurs de l’Archipel. En 1980, Fukushima Kunihiko – membre du laboratoire de recherches scientifiques et techniques de la NHK, la chaîne nationale de radiotélévision japonaise –, a annoncé qu’il avait mis au point un réseau de neurones artificiels appelé « neocognitron ». Sur le moment, ce système de reconnaissance de formes n’a pas fait l’objet d’une grande attention, bien qu’il fût capable d’identifier des caractères écrits manuellement. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’il a été reconnu à sa juste valeur en tant que précurseur de la technologie informatique.

Amari Shunichi, professeur émérite de l’Université de Tokyo, a lui aussi joué un rôle déterminant dans l’histoire de l’apprentissage profond. Il a en effet effectué des recherches capitales sur les réseaux de neurones artificiels. Ce scientifique remarquable, qui a eu 80 ans en janvier 2016, est toujours plein d’entrain et son nom est fréquemment mentionné dans les colloques sur l’apprentissage profond.

Ces deux savants ne constituent pas des exemples isolés comme c’est souvent le cas pour les Japonais qui ont joué un rôle de premier plan dans le monde. En fait, ils s’inscrivent dans un vaste contexte, comme le prouve la citation que voici :

« Nous allons augmenter la productivité des employés de bureau. Pour ce faire nous aurons recours non seulement à l’écrit mais aussi aux images et aux sons. »

À première vue, on pourrait penser que ces phrases sont tirées du projet d’entreprise d’une start-up voire d’une des nouvelles firmes qui s’intéressent à l’apprentissage profond. Pour certains, elles doivent évoquer le mot d’ordre qui définit la mission de Google à savoir « organiser les informations à l’échelle mondiale dans le but de les rendre accessibles et utiles à tous ».

Créer des ordinateurs de cinquième génération : un pari audacieux

En fait, cette citation est extraite d’un document datant de 1982 qui contenait rien moins qu’un projet national de grande envergure impliquant la création d’ordinateurs de cinquième génération. Or à l’époque, les ordinateurs personnels (PC) n’existaient pas encore. Le ministère japonais du Commerce international et de l’Industrie – le MITI, qui a pris depuis le nom de ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie – a investi 57 milliards de yens (environ 462 millions d'euros au taux d’échange actuel) dans ce projet sur le développement de l’intelligence artificielle. De nombreux chercheurs de tout premier plan se sont alors rendus au Japon. Et les États-Unis et l’Europe ont, semble-t-il, envisagé diverses stratégies pour faire face à l’initiative du Japon.

Mais le projet mis en œuvre en 1982 par les autorités de l’Archipel était bien trop ambitieux pour l’époque. D’ailleurs, son objectif est toujours d’actualité, même à l’heure actuelle. On pourrait aller jusqu’à dire que c’est le genre d’initiative qu’il faudrait prendre aujourd’hui. Certains pensent que si l’idée de créer des ordinateurs de cinquième génération n’a pas abouti, c’est parce qu’elle était beaucoup trop en avance sur son temps et qu’elle n’a pas été correctement exploitée. Il est vrai qu’à l’époque, on ne disposait pas de suffisamment de données informatiques. Qui plus est, Internet n’existait pas, pas davantage que la Toile, et il était donc impossible d’augmenter la productivité des employés de bureau. Mais il n’en reste pas moins, que ce projet allait indéniablement dans la bonne direction.

À mon avis, si la Toile avait fait son apparition dix ans plus tôt, le Japon aurait pu jouer un rôle comparable à celui de Silicon Valley à l’heure actuelle. On peut considérer que le projet de création d’ordinateurs de cinquième génération, qui a été conçu au moment de la période de haute croissance de l’Archipel, constitue en quelque sorte le point culminant de la trajectoire du Japon vers la position de première puissance mondiale. Ce qui m’a le plus étonné quand j’ai découvert ce document et que je l’ai examiné de près, ce n’est pas tant son contenu technologique que la ferme ambition de devenir le numéro un mondial et la stratégie pour y parvenir dont il témoigne.

Suite > Le potentiel exceptionnel du Japon en matière d’intelligence artificielle

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Matsuo YutakaArticles de l'auteur

Né en 1975. Professeur associé au département de gestion de l’innovation technologique de la faculté d’ingénierie de l’Université de Tokyo, depuis 2007. Titulaire d’un doctorat en ingénierie de l’information électronique obtenu en 2002, à l’Université de Tokyo. A été chercheur à l’Institut national des sciences et de la technologie industrielles de pointe (AIST) du Japon, et chercheur invité à l’Université Stanford, en Californie. Spécialiste de l’intelligence artificielle, de l’exploration des données et de l’analyse des méga-données. Président du comité d’éthique de la Société japonaise de l’intelligence artificielle (Jinkô chinô gakkai, JSAI).

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