Harcèlement sexuel : insensibilité des hommes et timidité des femmes

Société

Depuis quelques années, la société japonaise commence enfin à prendre conscience du problème que constitue le harcèlement sexuel. La société repose néanmoins encore sur des structures discriminatoires envers les femmes.

Indifférence coupable des hommes

Cependant, de nombreuses femmes se demandent sans doute pourquoi elles sont aujourd’hui encore confrontées à de telles attitudes. À quelle époque, dans quelle société vivons-nous ?

Dans une assemblée locale, lieu public par excellence, des élus se permettent des remarques sexistes envers une conseillère municipale qui s’exprime sur le problème de la baisse de la natalité : « dépêche-toi de te marier et de faire des enfants ». Ces invectives dénient le droit à la femme de disposer de son existence, empiètent sur sa vie privée et traitent avec mépris son statut.

Des cadres considèrent les allusions sexuelles imposées à leurs collaboratrices, au point de gêner le bon déroulement du travail, comme de simples blagues et trouvent anormal d’être punis pour une telle bagatelle.

Un grand magasin affirme soutenir les femmes qui travaillent mais imagine un spot publicitaire qui leur assigne un rôle de potiche.

Quand ces clichés d’un autre temps disparaîtront-ils ? Il y a de quoi être découragé.

Reconnaissons une prise de conscience quant au caractère impardonnable du harcèlement sexuel, et aux actes qui en relèvent. Mais, en réalité, ce qui provoque la colère et le malaise des femmes, les raisons pour lesquelles le harcèlement sexuel pose problème, ces questions fondamentales ne sont toujours pas réellement comprises, et l’insensibilité des hommes à leur égard semble inchangée.

Parmi la gent masculine, les excuses suivantes sont toujours de mise : quand on a du succès au bureau, un peu de contact physique n’est pas interdit, et les femmes rient aux blagues salaces : ces actes ne relèvent donc pas du harcèlement sexuel. Trouver un bon mari et avoir des enfants est le rêve de toutes les femmes, quel problème y aurait-il à soutenir ce point de vue ? Une femme doit avant tout être mignonne et agréable…

Pour de nombreux hommes, les considérations de ce genre semblent relever davantage du bon sens que du harcèlement sexuel. Mais les femmes, qu’elles souhaitent faire carrière ou non, refusent déjà depuis longtemps cette image de la féminité qu’on veut leur imposer. L’écart de perception entre hommes et femmes est immense.

La malédiction de la féminité

Une de mes connaissances, une conseillère municipale, m’a raconté être fréquemment en butte au harcèlement sexuel de ses collègues masculins ; recourant à l’image d’un film de science-fiction dans lequel les dinosaures supposément disparus attaquent les humains, elle a qualifié l’assemblée de « Jurassic park ». Ce qualificatif ne vaut pas que pour les assemblées locales ; les hommes d’âge mûr semblables à des dinosaures règnent sur de nombreux lieux de travail.

Les femmes refusent la figure imposée de la féminité, mais leur voix n’est guère entendue. Dans la société japonaise qui privilégie fortement la culture de l’harmonie et de la conciliation, exprimer franchement son opinion est mal vu, venant d’un homme comme d’une femme. Les femmes en particulier sont élevées dès l’enfance dans un esprit de soumission et d’aménité. La plupart des Japonaises ont l’habitude de faire preuve d’amabilité, de se conduire avec tact et d’éviter la confrontation.

Dans le cas de l’affaire jugée par la Cour suprême, bien que les propos déplacés de leurs supérieurs hiérarchiques aient entraîné une souffrance pour les collaboratrices, elles ne leur ont pas demandé d’arrêter. Sans doute ont-elles exprimé leur malaise de façon passive, en ne riant pas aux blagues et en ignorant leurs remarques. Mais hélas, leurs interlocuteurs n’ont pas compris. De même, la parlementaire Shiomura Ayaka, confrontée à des quolibets sexistes méprisants pour sa fonction, n’a pas montré sa colère, arborant plutôt un air déconcerté, son embarras dissimulé sous un léger sourire. Il en va de même dans le cas du spot publicitaire de Lumine. Les femmes, habituées à se montrer agréables, ont du mal à exprimer directement leur colère.

Même lorsqu’elles sont victimes d’attouchements dans un train bondé, de nombreuses femmes sont incapables de crier « Stop ! » à leur agresseur, le mieux qu’elles puissent faire étant de le prier de cesser, dans un filet de voix. Qu’une femme se mette à crier, même si elle est victime, est considéré comme vulgaire. En japonais, langue qui institue des différences de langage entre locuteurs masculin et féminin, même pour demander à un agresseur d’arrêter, les femmes emploient une tournure féminine. Ainsi subissent-elles également une contrainte linguistique.

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