Après le tsunami : le sauvetage du patrimoine culturel de Rikuzen-Takata

Société

La ville de Rikuzen-Takata, dans la préfecture d’Iwate, a perdu près du dixième de sa population – 23 000 habitants – à l’occasion du séisme suivi d’un énorme tsunami qui a ravagé le nord-est du Japon, le 11 mars 2011. Kumagai Masaru, le seul conservateur des musées de la ville ayant survécu à la catastrophe, raconte comment s’est déroulé le sauvetage des biens culturels qui font partie intégrante de l’identité de Rikuzen-Takata.

11 mars 2011 : une journée gravée à jamais dans ma mémoire

Ce jour-là, je travaillais au Musée de la mer et des coquillages de Rikuzen-Takata. J’étais en train de rentrer des informations dans la base de données de la collection de coquillages. À 2 heures 46 de l’après-midi, il y a eu une secousse comme je n’en avais jamais ressenti jusque-là. Elle a duré pendant plus de six minutes. Quand la terre a cessé de trembler, j’ai fait le tour des salles du musée et j’ai constaté que le séisme avait fait de gros dégâts. Heureusement, il n’y avait aucun visiteur à l’intérieur du bâtiment à ce moment-là. Mais le contenu des vitrines d’exposition était sens dessus dessous et un grand aquarium abritant différentes formes de vie marine était tombé en répandant son eau sur le sol. J’ai dit aux employés qui étaient présents ce jour-là d’évacuer les lieux et d’aller à la mairie. Après quoi, j’ai parcouru à nouveau le musée, je l’ai fermé et je suis parti à mon tour en direction de la mairie.

Une fois sur place, j’ai vu des employés municipaux et des habitants de la ville rassemblés sur le parking de la mairie et dans le parc situé de l’autre côté de la rue. Il y a eu plusieurs répliques très fortes, puis les haut-parleurs ont diffusé un ultime message. « Le tsunami a franchi la digue. Allez vous mettre à l’abri sur les hauteurs. » Je me suis rendu aussitôt sur le toit de l’immeuble de la mairie, mais ceux qui avaient quitté le musée, comme je le leur avais recommandé, sont allés dans la salle polyvalente où beaucoup de gens ont perdu la vie.

Le tsunami avançait en démolissant les maisons sur son passage. Il s’est rué sur la mairie avec les débris qu’il poussait devant lui. Au début, on ne voyait même pas la mer parce qu’elle était entièrement recouverte par les décombres qu’elle charriait. Et puis une autre vague géante est arrivée et le niveau de l’eau est monté. La salle polyvalente, un édifice de deux étages situé de l’autre côté de la rue, a été complètement submergée. Je pense que la vague faisait plus de 15 mètres de haut. J’ai assisté impuissant à des scènes atroces qui se sont déroulées sous mes yeux. Des gens coincés sous leur maison en train de s’écrouler. D’autres avalés par la vague alors qu’ils tentaient de fuir. Un enfant réfugié sur un toit emporté par la mer qui se retirait.

Le seul survivant des conservateurs des musées de Rikuzen-Takata

Le lendemain matin, après une nuit sans sommeil passée à la mairie, j’ai commencé à participer aux opérations de secours. Notre maison avait été emportée par le tsunami et je n’avais aucune nouvelle de ma famille. Heureusement, les miens – mes parents, mon épouse et mon fils qui était alors à l’école primaire – avaient tous survécu. Je les ai retrouvés deux jours plus tard. Ils s’étaient réfugiés à la maison de retraite située en hauteur où travaille ma femme. Jusque vers la fin du mois de mars, je suis resté au centre communautaire du quartier de Yonesaki où j’ai travaillé avec une équipe d’assistance aux victimes de la catastrophe. Ma tâche consistait en grande partie à réceptionner des cargaisons de secours en nature destinés aux centres d’évacuation locaux, à les trier et à les répartir. Je devais entre autres collaborer avec le personnel des Forces d’autodéfense japonaises (FAD) et vérifier les besoins des centres d’accueil. Je dormais sur place à côté de piles de cartons remplis de ravitaillement.

En haut à gauche : Le Musée municipal de Rikuzen-Takata avant le 11 mars 2011. En haut à droite : Le Musée de la mer et des coquillages avant le tsunami. En bas à gauche : L’extérieur du Musée municipal de Rikuzen-Takata après la catastrophe. En bas à droite : L’intérieur du Musée municipal de Rikuzen-Takata après le tsunami.

La situation était particulièrement chaotique et j’étais épuisé à la fois physiquement et mentalement. Mais tandis que je m’activais, je ne pouvais pas m’empêcher de penser au sort des musées et des réserves de biens culturels de la ville. Trois jours après la catastrophe, je me suis donc rendu sur place. J’ai visité le Musée municipal de Rikuzen-Takata, le Musée de la mer et des coquillages, la bibliothèque municipale et la réserve des biens culturels provenant de fouilles.

La vague géante avait entièrement submergé les quatre bâtiments. Quand ils n’avaient pas été emportés par la mer, les objets qui se trouvaient à l’intérieur avaient trempé dans un mélange d’eau salée et de vase noire. Ils étaient recouverts d’une couche de boue et de sable et la plupart avaient été très endommagés. Ceux qui étaient conservés dans une ambiance climatisée étaient particulièrement sensibles aux changements soudains et je savais qu’il fallait les traiter de toute urgence pour éviter que les dégâts ne soient encore plus graves. Mais à ce moment-là, il m’était absolument impossible de faire quoi que ce soit. Les équipes de secours n’étaient pas assez nombreuses et les vies humaines avaient la priorité.

J’ai donc continué à porter secours aux sinistrés jour après jour, mais sans pour autant oublier la situation des collections des musées. La confusion était telle qu’il a fallu du temps pour savoir combien d’employés de la mairie et des musées avaient survécu. En fait, un grand nombre d’entre eux avaient péri dans la catastrophe et j’ai fini par réaliser que j’étais le seul et unique survivant des conservateurs des musées de la ville.

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