Vingt ans après le séisme de Kobe et les attentats de la secte Aum

Société

Takeda Tôru [Profil]

Vingt ans se sont sont écoulés depuis le séisme de Kobe et les attentats au sarin commis par la secte Aum Shinrikyô. Que devons-nous garder dans notre cœur de ces deux décennies qui ont vu de grands changements dans la société japonaise ? Selon Takeda Tôru, « on ne peut plus s’attendre à ce que le Japon forme un collectif basé sur la sécurité morale, qui ignore la complexité de notre société, ni même l’espérer. »

L’ère d'Internet : la recherche de la vérité devenue secondaire

Les attentats de la secte Aum, pour leur part, se sont produits dans une culture qui recherchait la sécurité morale dans un groupe où l’autre n’existe pas. Et parce qu’ils l’ont détruite, ils ont au contraire intensifié la faim pour un « collectif de sécurité morale ». 1995 a aussi été l’année où Windows 95 a été lancé. Internet qui s’est largement développé à partir de ce moment-là s’est révélé un couteau à double tranchant. Dans le sens où Internet est devenu une plateforme qui diffuse des informations que les institutions publiques et les entreprises gardaient jusque là pour elles, où il contribue à réduire l’incertitude en augmentant la transparence, il peut servir à améliorer la confiance sociétale.

Mais l’accueil d’Internet au Japon a progressé dans une autre direction. C’est devenu particulièrement clair après le grand tremblement de terre de l’est du Japon. Des informations non contrôlées par les médias, les grandes entreprises comme Tepco ou les autorités ont fuité, l’impact de l’exposition aux radiations a été excessivement rapporté, et il a été question de dissimulation d’informations par le gouvernement. Ces informations ont en commun le fait qu’elles affirmaient sans aucune preuve qu’il y avait « vraiment » eu danger ou que le gouvernement avait « vraiment » menti.

Ce comportement est le produit d’une psychologie étrangement réfractée par laquelle on cherche à se rassurer avec ses amis en partageant des informations sur le danger des expositions aux radiations ou la corruption du gouvernement et des grandes entreprises. L’aspiration à la sécurité morale prime, la recherche de la vérité devient secondaire. Tandis que depuis le grand tremblement de terre de l’est du Japon, le mot « lien » est devenu à la mode, la contradiction rampante que constitue la « discrimination envers Fukushima », corollaire des thèses peu fondées scientifiquement selon lesquelles « Fukushima n’est plus adapté à la vie humaine », ou encore « les produits récoltés là-bas sont dangereux », est basée sur cette tendance.

Le Japon ne doit pas redevenir une société de sécurité morale

Comme le montre notre analyse, un « collectif de sécurité morale » ne peut englober toute la société. Plus on recherche l’assurance pour soi et les siens, plus on en arrive à exclure les autres ou à les blesser. Dans ce cas, l’utopie que serait une société de la sécurité morale n’est pas ce à quoi doit revenir la société japonaise. Shimada Hiromi conclut de cette manière le livre dont j’ai parlé :
« La solitude est assurément difficile et pénible. Mais dans notre longue histoire, nous l’avons obtenue qu’après nous être débarrassés de diverses contraintes. (...) Nous devons résister à la solitude, l’apprécier, et réfléchir à l’avenir en utilisant notre intelligence. »

Vingt ans après les attentats de la secte Aum, ces paroles méritent encore plus d’être entendues. Vivre avec les autres n’est jamais facile, comme en attestent les attentats qui viennent de se produire en France. Mais nous devons chercher à construire la confiance nous-mêmes, à notre manière, et non espérer la tranquillité que nous apporterait une sécurité morale qui n’existe pas.

 (D’après un original en japonais paru le 16 janvier 2015. Photo de titre : une section de l’autoroute Osaka-Kobe détruite par le tremblement de terre, le 17 janvier 1995. Jiji Press)

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Takeda TôruArticles de l'auteur

Professeur de sociologie des médias à l’université Keisen, journaliste et critique. Né en 1958 à Tokyo, il étudie à l’Université chrétienne internationale de Tokyo (ICU), où il obtient un doctorat de civilisation comparée. Il a été membre du Comité médias et droits de l’homme et est l’auteur de plusieurs publications, parmi lesquelles figurent notamment Ryôkôjinruigaku Kuronikuru (Chronique d’anthropologie de la mode), récompensé par le prix Suntory en 1999, et de Genpatsuhōdō to media (Les médias et les information sur l’énergie nucléaire).

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