Vingt ans après le séisme de Kobe et les attentats de la secte Aum

Société

Takeda Tôru [Profil]

Vingt ans se sont sont écoulés depuis le séisme de Kobe et les attentats au sarin commis par la secte Aum Shinrikyô. Que devons-nous garder dans notre cœur de ces deux décennies qui ont vu de grands changements dans la société japonaise ? Selon Takeda Tôru, « on ne peut plus s’attendre à ce que le Japon forme un collectif basé sur la sécurité morale, qui ignore la complexité de notre société, ni même l’espérer. »

Charlie Hebdo et le réformisme graduel occidental

Vingt ans plus tard, en France, un magazine qui avait publié des caricatures ridiculisant l’islam a été l’objet d’une attaque terroriste qui a fait 12 victimes, dont le directeur de la publication. Même s’il s’agit d’un attentat causé par le fondamentalisme religieux, il n’est pas de la même nature que les attentats commis par la secte Aum. L’article que Ikeuchi Satoshi, un spécialiste japonais de l’islam qui enseigne à l’Université de Tokyo, a publié à ce sujet sur sa page Facebook m’a fait forte impression.

Il écrit qu’en entendant dire que le terrorisme en Occident était lié à la discrimination contre l’islam, il s’était souvenu d’une chose que lui avait raconté son père (le spécialiste de littérature allemande Ikeuchi Osamu) quand il avait une dizaine d’années, à propos des parcs des grandes villes européennes.

« Nous n’en avons pas d’aussi beaux au Japon. On commence par se dire que l’Europe est vraiment impressionnante... Mais si on va tous les jours dans le même parc, on voit les mêmes gens sur les mêmes bancs. Une vieille femme sur celui-ci, un vieil homme sur celui-là, chacun seul. On se dit qu’ils pourraient se parler puisqu’ils viennent chacun tous les jours s’asseoir sur le même banc à la même heure, mais ils n’en font rien. Ils restent chacun sur leur banc. Ils ne se regardent pas. Comme s’ils ne voulaient pas admettre l’existence des autres. »

La solitude est un élément fondamental de la culture occidentale moderne. Dans une société individualiste, chacun naît seul, et même s’il a plus tard une famille, chacun doit accepter qu’il mourra seul. Les bancs des parcs européens sont fait pour ces gens-là. La beauté de ces vastes parcs est destinée à alléger un tant soit peu cette solitude, lui avait expliqué son père.

La solitude de la société occidentale présuppose l’existence d’un autre incompatible avec soi-même. Les Occidentaux n’oublient pas l’incertitude de l’autre. C’est la raison pour laquelle ils choisissent parfois la solitude en ne s’occupant pas des autres afin d’éviter les risques, et pour laquelle ils pratiquent parfois activement la discrimination et l’exclusion. Cela peut aussi les conduire au contraire à faire des efforts pour coexister avec les autres. Dans les deux cas, il s’agit d’actions destinées à bâtir la confiance dans le but exprès de réduire la complexité.

Les attentats terroristes en France ont eu lieu au cours de ce processus. Une liberté d’expression radicale, incluant la satire des religions, fait sans doute partie de cette plateforme de la coexistence. Si le processus de rétribution de l’expression par l’expression permet de faire apparaître clairement la silhouette d’un tiers incertain, il devrait aussi offrir une façon d’y réagir et une occasion de réconciliation.

Mais le réformisme graduel qui passe par la liberté d’expression a conduit à ce tragique incident où la contradiction s’est exprimée par les armes. On peut envisager toutes sortes de contre-réactions, mais comment restaurer la sécurité, comment surmonter cette situation ? Le réformisme graduel occidental qui est un élément fondamental d’une société bâtie sur la libre expression est aujourd’hui mis à l’épreuve.

Suite > L’ère d'Internet : la recherche de la vérité devenue secondaire

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Takeda TôruArticles de l'auteur

Professeur de sociologie des médias à l’université Keisen, journaliste et critique. Né en 1958 à Tokyo, il étudie à l’Université chrétienne internationale de Tokyo (ICU), où il obtient un doctorat de civilisation comparée. Il a été membre du Comité médias et droits de l’homme et est l’auteur de plusieurs publications, parmi lesquelles figurent notamment Ryôkôjinruigaku Kuronikuru (Chronique d’anthropologie de la mode), récompensé par le prix Suntory en 1999, et de Genpatsuhōdō to media (Les médias et les information sur l’énergie nucléaire).

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