Les bases américaines à Okinawa : passé, présent et futur

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Miyagi Taizô [Profil]

Onaga Takeshi, l’ancien maire de Naha, opposé au transfert de la base de Futenma à Henoko, a été élu gouverneur d’Okinawa en novembre 2014 lors d’une élection où cette question a joué un rôle central. Le professeur Miyagi Taizô nous présente l’histoire des bases américaines à Okinawa, et évoque les perspectives futures.

Une question politisée à deux reprises

Ce retour sur ces deux dernières décennies permet de s’apercevoir que l’idée de déplacer l’aérodrome de Futenma à l’intérieur d’Okinawa était condamnée dès le départ. Afin de pousser le transfert vers Henoko tout en dissimulant ce fait, Okinawa a bénéficié d’une manne de mesures de promotion pendant plus de 20 ans.

Il est intéressant de noter que l’on a su autrefois éviter, du moins superficiellement, que soit établi le lien entre la charge que font peser les bases sur Okinawa et les mesures de promotion de l’île. Mais par la suite, ce lien a commencé à être ouvertement évoqué comme si l'on exhortait les habitants à tolérer les bases puisqu’en contrepartie ils recevaient de l’argent. Cela a suscité un conflit encore plus émotionnel et conduit à creuser davantage le fossé entre Okinawa et le reste du Japon.

Il est aussi permis de penser que la manière dont deux chefs de gouvernement ont « politisé » cette question à deux reprises, n’a fait qu’aggraver le problème. L’annonce-surprise d’un accord sur la restitution de Futenma faite par le Premier ministre Hashimoto, à un moment où il était confronté à la possibilité que les bases incluses dans les dispositions du traité de sécurité nippo-américain deviennent des occupations illégales de terrain en raison du refus du gouverneur d’Okinawa d’utiliser sa procuration, comme l’engagement pris par le Premier ministre Hatoyama qui envisageait, sans avoir suffisamment étudié la question, de la déplacer base a minima hors d’Okinawa, parce qu’il y voyait le symbole de « relations nippo-américaines équilibrées », ont certainement rendu la situation encore plus inextricable. Alors que le fardeau que constituent les bases aurait pu être allégé par les autorités à un niveau gérable, cette politisation excessive lui a accordé un poids que personne n’était prêt à endosser.

Une troisième politisation est à craindre

Lors des élections générales de décembre dernier 2014, postérieures à l’élection du gouverneur d’Okinawa, aucun des candidats du PLD qui affirmaient leur approbation pour le plan de transférer la base de Futenma à Henoko, n’a été élu. Le rejet de ce plan par les habitants d’Okinawa ne peut plus faire de doute, et cela en dépit de toutes les approches tentées par l’État depuis plus de 20 ans. Précisons que cette volonté populaire, souvent sujette à malentendus, n’exige nullement le départ immédiat de toutes les bases américaines qui se trouvent à Okinawa. Non, elle affirme que l’île a atteint la limite de ce qu’il peut supporter et que ses habitants ne veulent pas d’un transfert dans la préfecture d’ Okinawa, qui ne ferait que déplacer le problème sans le résoudre.

Pour ma part, si la proposition de transférer les fonctions de Futenma à Henoko est réalisée malgré l’opposition affirmée par les habitants au moment de l’élection du gouverneur en novembre dernier et réitérée lors des élections générales, je crains que cela ne conduise à une troisième politisation. Si elle devait être mise en œuvre dans le contexte actuel, elle prendrait une dimension symbolique et ébranlerait profondément les attaches entre Okinawa et le reste du Japon. Cela ne risquerait-il pas en fin de compte d’ébranler la stabilité des dispositions du traité de sécurité nippo-américain qui dépendent en grande partie d’Okinawa ?

La question de Futenma est indubitablement devenu un problème extrêmement complexe d’un point de vue politique. Richard Armitage, l’ancien numéro deux du département d’État américain, qui est aussi un des Américains connu pour sa bonne compréhension du Japon, a fait cette confidence dans un livre publié par la maison d’édition Okinawa Times, Volonté populaire et décisions : « Si le Japon et les États-Unis avaient montré plus de sérieux à propos de la question des bases situées à Okinawa au moment de la restitution d’Okinawa au Japon, elle ne serait pas devenue si grave. » Quelle est la vraie nature de cette question qui a été ainsi laissée de côté et qu’il faut à présent résoudre ? Si les politiciens japonais continuent à éviter de regarder en face le cœur du problème, et de faire comme si tout était déjà réglé, cela ne fera qu’aggraver le problème et aura pour résultat de le transmettre aux générations futures sous une forme encore plus complexe.

(D’après l’original écrit en japonais le 10 décembre 2014. Photo de titre : le nouveau gouverneur d’Okinawa Onaga Takeshi / la base aériene de Futenma. Jiji Press )

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Miyagi TaizôArticles de l'auteur

Professeur associé à la Faculté de Global Studies de l’Université Sophia à Tokyo, né en 1968. Après des études à la Faculté de droit de l’Université Rikkyô, il travaille comme journaliste à la NHK puis reprend des études à l’Université Hitotsubashi où il enseigne ensuite avant de rejoindre Sophia. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’histoire du Japon de l’après-guerre, notamment « Une nation maritime – Histoire du Japon de l’après-guerre » (Kaiyô kokka Nihon no sengoshi, éditions Chikuma, 2008) ou encore « Une histoire de la diplomatie japonaise contemporaine » (Gendai Nihon gaikôshi, éditions Chûkô Shinsho, 2016)

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