Retour sur l’inculpation d’un journaliste japonais à Séoul

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Ôishi Yutaka [Profil]

Un article de Katô Tatsuya, ex-directeur du bureau du Sankei Shimbun à Séoul, publié sur le site du journal a suscité en Corée du Sud un débat sur la liberté d’opinion et la situation politique nationale. Cependant, ce qui pose aujourd’hui question n’est-il pas plutôt le contenu et la qualité de l’article de M. Katô ?

M. Choe ne cherchait pas à dévoiler un secret

Répétons-le, l’action du ministère public sud-coréen est critiquable. Néanmoins, ce qui pose problème est bien non seulement le contenu de l’article de M. Katô, ex-directeur du bureau de Séoul du Sankei Shimbun, mais aussi sa qualité. À la lecture de l’article de Choe Bo-sik, on comprend que son objectif n’est pas nécessairement de révéler des secrets concernant Mme Park.

On peut se demander pourquoi une rumeur gênante s’est ainsi trouvée exposée au grand jour, mais cet article s’attache avant tout au faible taux de soutien au gouvernement actuel, sévèrement critiqué. Voici un extrait de l’éditorial de M. Choe :

« Si l’action du gouvernement recueillait un fort taux de soutien, les rumeurs n’auraient pas eu le loisir de se développer. La confiance envers la présidente elle-même a disparu, ouvrant la voie à diverses rumeurs sur son compte. Exactement de la même façon que lorsque le système immunitaire d’un organisme s’affaiblit, les agents infectieux jusqu’alors dissimulés se mettent à y proliférer […]. Pour réformer l’État, il faut d’abord renouveler la présidence et son entourage. »

Cet article constitue une profonde remise en question des capacités de gestion de crise de la présidente Park Geun-hye, de ses capacités politiques, et aussi, pour finir, de ses choix concernant son entourage. Dans l’éditorial de M. Choe, la partie portant sur les rumeurs qui entourent la présidente est un moyen d’amener la critique, il ne s’agit pas de faire la lumière sur ces on-dit. Bien plus, on n’y discerne nulle volonté de jouer de ces rumeurs pour créer un scandale présidentiel susceptible de déborder les frontières sud-coréennes.

Un article basé sur des faits insuffisamment confirmés

L’article de M. Katô cite, dans ses dernières lignes, l’analyse de M. Choe sur les conditions de l’apparition de cette rumeur « indécente », avant de conclure que le déclin du gouvernement de Mme Park semble avancé ». Mais l’article s’intéresse avant tout aux secrets de la présidente. Dans la mesure où il est fortement inspiré de celui du Chosun Ilbo, le parquet est critiqué pour son manque de consistance en visant le seul M. Katô et pas M. Choe, nous l’avons déjà signalé ; mais à vrai dire, ce point n’est pas sans lien avec les doutes sur la qualité de cet article. M. Katô, sans effectuer de reportage lui-même, a repris pratiquement tel quel l’article de M. Choe sur les rumeurs entourant la présidente, se bornant à livrer quelques explications supplémentaires : c’est ce qu’on appelle un article fondé sur le ouï-dire.

Or, les « principes du journaliste » érigés par le Sankei Shimbun demandent d’être « précis et impartial », et soulignent : « les articles non basés sur la vérité ou sur des faits insuffisamment confirmés, même s’ils paraissent objectifs, doivent être évincés, car, pour le Sankei Shimbun, ils reviennent à saper la confiance de ses lecteurs, un acte suicidaire. Il en va de même pour les titres. » Cet article de M. Katô fait précisément partie de cette catégorie basée « sur des faits insuffisamment confirmés ». S’il souhaitait traiter des scandales entourant la présidente, il devait faire son propre reportage, collecter des informations et les vérifier avant de publier un article.

La Commission éditoriale de l’Association japonaise des journaux a jugé, dans une déclaration du 9 octobre, « fortement regrettable la mise en examen décidée par le parquet de Séoul, à laquelle elle s’oppose vivement, profondément inquiète des menaces pesant sur la liberté de reportage et d’information. » Bien que nous comprenions l’importance et la nécessité d’une telle déclaration, dans le même temps, le réexamen du contenu et de la qualité de l’article de M. Katô nous semble tout aussi nécessaire.

(D’après un article en japonais du 4 novembre 2014. Photo de titre : la présidente Park Geun-hye, le 19 mai 2014, Jiji Press.)

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Ôishi YutakaArticles de l'auteur

Directeur de la faculté de droit de l’Université Keiô. Né en 1956 à Tokyo, diplômé en 1979 du département d’études politiques de Keiô, docteur en droit en 1985. En poste depuis 2011, après avoir notamment dirigé l’Institut de recherche sur les médias et la communication. Ancien directeur de la Société japonaise de la communication de masse. Auteur notamment de La politique dans les médias (Keisô Shobô, 2014) et Les médias japonais d’après-guerre et la conscience citoyenne (Minverva Shobô, 2012).

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