Pourquoi Sony a-t-il chuté ?

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Sony, la société qui a inventé le Walkman, l’ordinateur portable Vaio et bien d’autres produits qui ont marqué leur époque, voit ses résultats se détériorer depuis une dizaine d’années. Nous analysons sous l’angle de la gouvernance d’entreprise les raisons de la chute de cette marque japonaise qui avait su se créer un empire dans le secteur de l’électronique.

Sony rate son entrée dans l’ère Internet

La posture pionnière de M. Idei fut couronnée de succès : en 2000, au moment de la bulle Internet, Sony réalisa les meilleurs résultats de son histoire et le cours de son action qui se situait autour de 4240 yens à sa prise de fonctions dépassait 13000 yens. Mais le géant japonais ne parvint pas ensuite à lancer de produits révolutionnaires reliés à Internet. Comme il prit aussi un départ tardif dans la production de téléviseurs à écran plat, la gamme des produits Sony commença à manquer de cohérence. Les marchés furent les premiers à percevoir la perte de la rapidité de la société.

Le 24 avril 2003, Sony annonça un résultat opérationnel consolidé inférieur de 100 milliards de yens aux projections, et prévoyait une diminution de l’ordre de 30 % de ses résultats pour l’exercice suivant ( qui se terminait en mars 2004). Dès le lendemain, les investisseurs commencèrent à vendre leurs titres Sony. De nombreuses transactions furent stoppées parce que le cours était descendu trop bas, et à la clôture, il n’était plus que de 3220 yens. Cet épisode est connu au Japon comme le « choc Sony ».

De plus, le lancement à temps pour les ventes de fin d’année du Sugoroku, un nouvel enregistreur de DVD sur lequel la firme comptait pour se refaire, coïncida avec celui de la PSX, une console de jeux avec un disque dur, conçue par Sony Computer Entertainment et capable elle aussi d’enregistrer des DVD. Les deux produits se cannibalisèrent. Cet échec mit cruellement en lumière l’absence de leadership interne, indispensable pour harmoniser le travail des différentes divisions de Sony.

Piège du succès et conflit d’intérêts

Pourquoi Sony qui disposait en 2003 d’une gamme de produits de loin supérieure à celle d’Apple n’a-t-il par réussi à tous les connecter à Internet ? Si l’on étudie de près ce qu’était alors Sony, on comprend que cet échec est avant tout la conséquence de ses succès passés.

Le géant japonais était alors le premier producteur mondial de disques compacts (CD) et ses walkmans CD/MD (mini-discs) avaient un grand succès. Les deux formats, CD et MD, avaient été mis au point sous la direction d’Ôga Norio, le PDG qui avait précédé M. Idei à la tête de Sony. Un appareil basé sur un disque dur comme l’était l’iPod rendait obsolète CD et MD, et ne pouvait que signifier la fin des ventes de CD et de Walkman MD.

Par ailleurs, les intérêts de Sony Music qui avait dans son catalogue de nombreux artistes influents, à commencer par Michael Jackson, étaient en conflit avec la distribution de musique sur Internet. Parce qu’ils voyaient alors comme leur principale activité créatrice la réalisation d’albums autour d’un concept unique, les artistes n’envisageaient nullement de vendre des titres un par un sur Internet. Pour les maisons de disques, ce genre d’albums présentait un autre avantage car ils permettaient de vendre au sein d’un seul ensemble des titres qui n’avaient aucune chance de réussir séparément. De plus, personne ne savait comment protéger les droits d’auteurs, un élément crucial pour l’industrie musicale, dans le cas de la musique diffusée en ligne.

Dans le domaine des téléviseurs, Sony était confronté à un autre dilemme. Le tube Trinitron Superflat, mis au point en 1996, lui avait permis de lancer des téléviseur avec un écran plat à tube cathodique, et ceux de sa série WEGA connaissaient alors un grand succès à travers le monde entier. Même si Sony savait que les écrans à cristaux liquides finiraient par l’emporter, la firme hésitait à abandonner une technologie qui lui rapportait au profit d’une nouvelle qui exigerait d’énormes investissements et dont le succès n’était pas garanti. Cela revient à dire que le succès du Trinitron Superflat est en d’autres termes à l’origine de son départ tardif dans les écrans à cristaux liquides.

Ainsi, Sony était confronté à des conflits d’intérêts entre les modèles économiques à l’origine de son succès d’une part, et le passage au numérique et à Internet de l’autre. Ces conflits l’empêchaient d’innover. Prisonnière de ses succès passés, Sony avait de grandes difficultés à évoluer et à adopter des innovations qui lui paraissaient un reniement.

Suite > L’échec de la réforme de gouvernance

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