Le repas familial traditionnel menacé

Culture Vie quotidienne Gastronomie

Iwamura Nobuko étudie depuis de longues années les pratiques alimentaires des familles japonaises. Après l’inscription du « washoku, les traditions culinaires des Japonais » sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco, elle s’interroge sur ce que signifie aujourd’hui « la cuisine familiale » pour les Japonais.

La génération 1960 nourrie dès le départ avec des plats préparés

Il me semble qu’un des principaux facteurs derrière cette transformation rapide est l’essor connu à partir de 1960 environ par les aliments transformés.

Cette année-là qui a vu l’apparition de nombreux nouveaux produits alimentaires (nouilles instantanées, café soluble, roux prêts à l’emploi pour préparer une sauce au curry) est parfois définie comme l’an zéro des produits instantanés. Le marché des aliments transformés a ensuite connu une croissance continue. Grâce à ces nouveaux produits, les ménagères qui ne maîtrisaient que la cuisine japonaise pouvaient préparer des plats de spaghetti avec les sauces en boîte, du riz au curry ou du ragoût avec les roux tout faits, de la salade avec les sauces en bouteilles, ou du tofu épicé, un plat chinois, avec de la sauce toute prête. C’est de cette façon que les plats à l’occidentale ou à la chinoise se sont rapidement introduits dans les foyers japonais. Il suffisait d’acheter ces préparations pour être capable de cuisiner ces plats sans peine. Les pratiques alimentaires japonaises n’auraient pas évolué aussi rapidement si elles n’avaient pas existé.

C’est aussi à cette époque que la consommation par les ménages des ingrédients qui sont le fondement du goût japonais (flocons de bonite séchée, miso [pâte fermentée de soja, de riz ou d’orge, de sel additionnée de levure], sauce de soja) a commencé à drastiquement diminuer (comme le montre l’enquête sur les ménages). Aujourd’hui, les générations nées après 1960, soit presque 60 % de la population japonaise actuelle, commencent à entrer dans la cinquantaine.

Comparés à ceux des générations précédentes, ses membres connaissent moins bien la cuisine japonaise et ne voient plus la cuisine « à l’occidentale » comme un seul bloc. Leur répertoire culinaire en matière de washoku est limité. Lorsqu’on leur demande quelle est leur spécialité culinaire, ils mentionnent exclusivement des plats d’origine italienne, française ou ethnique. On peut en conclure que pour eux, les plats washoku que leurs parents ne leur ont pas transmis sont plus difficiles que la cuisine « internationale », dont la popularité est basée sur des méthodes simplifiées.

La décision de l’Unesco nous force à regarder la réalité en face

La cuisine washoku qui reste associée au Japon à « la cuisine de chez mes parents », au fait-maison, est aussi perçue un « repas dans les règles », composé de plats dans la préparation desquels une ménagère ne se lancera qu’à condition d’avoir du temps devant elle.

Alors que cette cuisine conserve une image positive — elle est perçue comme celle que l’on mangeait traditionnellement, préparée à la maison —, l’ironie veut qu’elle a presque disparu dans notre époque de simplification, où la cuisine à l’occidentale ne cesse de progresser.

Dans ce contexte, le recul de la cuisine washoku sur les tables des familles japonaises nous conduit à nous interroger sur ce qu’était autrefois la cuisine familiale et sur ce qui était important dans nos pratiques alimentaires. Il me semble que l’inscription au patrimoine culture immatériel de l’humanité force chaque Japonais à confronter les menaces qui pèsent aujourd’hui sur cette cuisine.

(D’après un texte original en japonais du 24 janvier 2014)

Tags

patrimoine cuisine riz tradition famille maison washoku コメ

Autres articles de ce dossier