Combien de temps le modèle familial japonais va-t-il encore tenir ?

Société Vie quotidienne

Senda Yuki [Profil]

Au premier regard, l’institution matrimoniale, secouée par les vents du changement dans bien des pays développés, peut donner l’impression de mieux résister au Japon. À l’heure actuelle, la loi japonaise n’autorise pas le mariage entre personnes du même sexe, ni l’emploi de noms de familles différents par les conjoints. Mais la sociologue Senda Yuki pense que les signes suggérant l’approche d’un grand changement sont déjà là.

L’État ne fait rien pour aider les parents

Bien que la tendance des Japonais à se marier dans le but d’avoir des enfants soit un fait avéré, l’État ne montre aucun empressement à leur apporter un soutien pour élever leurs enfants.

L’effondrement du modèle tant vanté de l’entreprise japonaise, amorcé dans les années 1990, s’est accompagné de celui du ménage « mari au travail, femme à la maison ». À l’avènement du nouveau millénaire, le nombre des ménages à double revenu a rapidement dépassé celui des foyers à salaire unique. À cela est venue s’ajouter la crise économique mondiale, qui a encore gonflé les rangs des femmes contraintes de travailler à l’extérieur.

Les listes d’enfants en attente de place dans les écoles maternelles et les garderies ne cessent de s’allonger, ce qui a d’autant moins de sens que le taux de natalité continue de décliner. Après la naissance de leur enfant, voire même pendant la grossesse, les femmes doivent se battre pour obtenir une place dans une garderie.

La formule proposée par M. Abe ne convainc pas

Sachant la difficulté, largement reconnue, de trouver non seulement une solution satisfaisante aux problèmes de garderie, mais encore un juste équilibre entre les contraintes professionnelles et les nécessités familiales, il n’est pas étonnant que les célibataires japonaises semblent peu sensibles aux charmes du mode de vie à double revenu ou à la perspective d’avoir des enfants. Pour celles qui en ont un, l’expérience est sans doute suffisamment épuisante pour les décourager d’en avoir davantage. Dans ces circonstances, il y a peu de chance que le taux de natalité augmente.

Le gouvernement actuel, avec à sa tête Abe Shinzô, du Parti libéral-démocrate, s’est engagé à apporter son soutien à l’éducation des enfants âgés de trois ans et plus. M. Abe a proposé une formule qui permet aux salariés de prendre un congé de trois ans pour s’occuper de leurs enfants et donne ainsi aux parents la possibilité de passer le plus de temps possible aux côtés de leurs enfants. Ce dispositif est censé rendre caduques les subventions accordées pour les enfants en bas âge, qui grèvent les finances, déjà tendues, du Japon. La prise en charge des enfants en bas âge exige un apport considérable de fonds publics, alors que celle des enfants de trois ans et plus est beaucoup moins coûteuse.

Mais un salarié serait-il mesure de reprendre son ancien emploi après une aussi longue absence ? Et qu’en est-il de ceux qui ne peuvent se permettre de prendre un congé et souhaitent retourner travailler le plus tôt possible après la naissance d’un enfant ? C’est à des questions de ce genre que le gouvernement Abe doit la vague de critiques à laquelle s’est heurté son projet.

Le gouvernement a en outre défini un objectif chiffré pour améliorer la place des femmes dans la société japonaise prise dans son ensemble. Il s’agit de faire en sorte que les femmes occupent au moins 30 % des postes dirigeants dans tous les domaines d’activités d’ici 2020. Toutefois, aucun détail n’a été fourni quant à la façon d’y parvenir.

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Senda YukiArticles de l'auteur

Professeur de sociologie à l’Université Musashi. Né à Osaka en 1968. A obtenu en 2000 un doctorat de sociologie de l’Institut des hautes études en sciences humaines et en sociologie de l’Université de Tokyo. A été maître de conférences à l’Université des études étrangères de Tokyo. Auteur de divers ouvrages, dont Nihongata kindai kazoku doko kara kite doko e iku no ka (La famille japonaise moderne : d’où vient-elle et où va-t-elle ?) et Joseigaku, danseigaku (Études masculines, études féminines).

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