Combien de temps le modèle familial japonais va-t-il encore tenir ?

Société Vie quotidienne

Au premier regard, l’institution matrimoniale, secouée par les vents du changement dans bien des pays développés, peut donner l’impression de mieux résister au Japon. À l’heure actuelle, la loi japonaise n’autorise pas le mariage entre personnes du même sexe, ni l’emploi de noms de familles différents par les conjoints. Mais la sociologue Senda Yuki pense que les signes suggérant l’approche d’un grand changement sont déjà là.

Lors d’une discussion récente que j’ai eue avec elle, une amie américaine m’a annoncé qu’un ami commun venait de se marier. « Mais n’est-il pas homosexuel ? » ai-je demandé, un tantinet surpris par la nouvelle. Quant à mon ami, c’est ma réaction qui l’a étonné. « Si bien sûr, et c’est pourquoi il a épousé un homosexuel, » m’a-t-il répondu.

Cet incident m’a permis de réaliser que, tout spécialiste de la sociologie de la famille que je suis, ma vision des choses en ce domaine reste déterminée par les idées traditionnelles japonaises. Vu les recherches que j’effectue, je connais, bien entendu, l’existence du mariage homosexuel et de l’union civile. Mais l’idée du mariage entre personnes du même sexe est si étrangère au Japon que cette éventualité ne m’est pas immédiatement venue à l’esprit en parlant avec mon ami. (Notons au passage que, bien que le mariage leur soit interdit, certains couples homosexuels recourent aux procédures d’adoption pour acquérir le statut de cohabitants.)

Le mariage est l’une des causes du déclin de la natalité au Japon

Au Japon, la famille est une institution solidement enracinée, et le mariage homosexuel n’est pas la seule variante non autorisée. Le droit interdit aussi aux conjoints de porter des noms de famille différents et, en mai dernier, le Tribunal de grande instance de Tokyo a rejeté une action intentée en vue de contester la constitutionnalité de cette disposition.

Au Japon, seuls 2 % des enfants naissent hors des liens du mariage. Ce chiffre est très faible comparé aux 50 % et plus enregistrés en France et dans les pays d’Europe du Nord, ou aux 40 % observés aux États-Unis. Outre cela, le Code civil japonais stipule que la valeur de l’héritage des enfants nés en dehors du mariage ne peut excéder la moitié de celui auquel peuvent prétendre leurs frères et sœurs nés dans le cadre du mariage.(*1)

Cette rigidité de l’institution matrimoniale a contribué au déclin du taux de natalité japonais, lequel déclin est en train de devenir un problème social de grande envergure.

Dans les années 1980, on entendait souvent l’expression « doubles revenus, pas d’enfant » (DINKs), mais en fait, très peu de couples mariés ont renoncé à avoir des enfants.(*2) L’idée qu’un couple puisse se contenter de vivre à deux n’a jamais pris au Japon. Bien au contraire, le mariage est considéré comme un arrangement dans lequel chacun renonce à nombre de privilèges, tels que la liberté de choisir ses partenaires sexuels, pour adhérer à un régime d’obligations conjugales mutuelles. Avoir des enfants est peut-être le seul privilège que le mariage puisse conférer.

Au Japon, un mariage sur quatre résulte d’une grossesse préalable, phénomène baptisé familièrement dekichatta kon. Et pour la majorité des couples, le fait d’avoir des enfants semble constituer la principale raison ou motivation pour contracter un mariage.

(*1) ^ Le 4 septembre 2013, la Cour suprême du Japon a déclaré que la disposition en question viole la Constitution.

(*2) ^ Si l’on en croit les résultats de l’Enquête nationale sur la fertilité effectuée en 2010 par l’Institut national de recherche sur la population et la sécurité sociale, seulement 6,4 % des couples mariés depuis 15 à 19 ans n’avaient pas d’enfant.

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