Fukushima : l’homme qui a sauvé le Japon est mort

Société

Kadota Ryûshô [Profil]

Yoshida Masao, décédé le 9 juillet 2013, fut le directeur de la centrale nucléaire Fukushima Daiichi, et à ce titre, fut celui qui, sur les lieux mêmes de l’accident, à l’intérieur de la centrale, prit les décisions critiques qui réduisirent les conséquences de l’accident au minimum possible après le séisme du 11 mars 2011. Kadota Ryûshô, écrivain de non-fictions, avait réalisé une longue interview de M. Yoshida et avait collecté renseignements et informations auprès de plusieurs personnes directement concernées par les événements. Son enquête jette un regard nouveau sur le combat que mena M. Yoshida.

Les 69 de Fukushima, qui ont combattu sur place jusqu’au bout

M. Yoshida m’a aussi raconté ce moment à l’aube du 15 mars 2011, quand la pression dans l’enceinte du réacteur n°2 a atteint son comble. Il a alors choisi les hommes « qui mourraient avec [lui] » et les a tous regardés droit dans les yeux.

De la salle de contrôle au second étage du bâtiment antisismique d’où il contrôlait les opérations, M. Yoshida s’est levé de son siège et s’est soudain laissé tomber sur les genoux par terre. Il a baissé la tête et est entré en méditation zen, comme plongé dans une intense réflexion.

M. Yoshida m’a raconté ce qui s’était passé en lui à ce moment-là : « À ce moment-là, il n’y avait pas d’autre moyen que d’envoyer directement de l’eau de mer pour éviter l’emballement du réacteur. Quels seront les hommes qui vont le faire ? C’était à moi de les choisir. Ce qui signifiait aussi leur demander de mourir avec moi. Leur visage m’est passé l’un après l’autre devant mes yeux, et je pensais, lui, il mourra avec moi… lui aussi… Le premier qui m’est apparu, c’est mon chef d’équipe, qui avait le même âge que moi. Il n’avait pas fait d’études au-delà du lycée, et nous avions vécu ensemble un bon paquet de choses. Oui, ce gars-là, il voudra bien mourir avec moi, j’ai pensé. »

Rien d’étonnant à ce que ce soit le visage d’un homme avec qui il avait vécu de nombreux événement de sa jeunesse qui lui soit venu à l’esprit à ce moment-là. « Oui, des hommes de mon âge ou presque, des hommes que j’avais longtemps côtoyés me sont venus à l’esprit. Je les envoie à la mort, j’ai pensé. Mais au point où nous en étions, il n’y avait rien d’autre à faire qu’à continuer d’arroser, et il fallait se résoudre aux dernières extrémités. Toutes ces choses me sont passées par la tête, assis sur les genoux… »

Scène sublime. Plus tard, les médias occidentaux ont parlé des « 50 de Fukushima » qui sont restés sur place avec Yoshida. En réalité, ils furent 69. (Voir notre article : Le film « Fukushima 50 » : les héros qui ont protégé le Japon du pire scénario)

« Coûte que coûte, nous allons arrêter l’emballement de ce réacteur. Je crois que tous les hommes présents sur le site de Fukushima Daiichi partageaient cette pensée ». À ce stade, le combat de M. Yoshida et de ses hommes était d’empêcher la destruction de Fukushima et le partage du Japon en trois (Hokkaidô et l’Ouest indemnes, et l’Est du Japon contaminé au milieu).

Avant la mise en place d’une étude plus poussée...

Ce qui a été surprenant, c’est de lire dans les médias après le décès de M. Yoshida que celui-ci aurait été réticent à mettre en place des dispositifs de protection contre les tsunamis. Ce qui est parfaitement contraire à la réalité.

M. Yoshida n’avait pas cessé d’étudier les tsunamis depuis sa nomination de directeur d’installation en avril 2007. Dès cette date, il s’était élevé contre les conclusions de la commission qui avait déclaré qu’il n’existait « aucune source d’ondes susceptible de créer des tsunamis au large de Fukushima », et avait réalisé des estimations basées sur les données du tremblement de terre dit de « Meiji-Sanriku » de 1896 au large de la préfecture d’Iwate et qui avait fait près de 22 000 victimes. Selon ses calculs, les vagues pouvaient alors atteindre « une amplitude maximale de 15,7m ».

Toutefois, avant qu’une étude plus poussée soit mise en place sur la base de cette estimation, un tremblement de terre 358 fois plus puissant que celui de Kobe de 1995, 45 fois plus puissant que le Grand tremblement de terre du Kantô de 1923, un séisme d’une ampleur telle qu’aucun institut de recherche n’en avait imaginé d’aussi puissant se produisit.

M. Yoshida, directeur de la centrale Fukushima Daiichi au moment des faits, a combattu cette catastrophe au risque de sa vie. Les hommes placés sous ses ordres, d’un cœur unis comme un seul homme, ont fait des allers retours dans le bâtiment contaminé pour finalement éviter le pire. Si M. Yoshida n’avait pas été à cet instant-là, le Japon n’aurait peut-être pas été sauvé.

(Voir notre dernier article sur la catastrophe de Fukushima : Dix ans depuis la catastrophe de Fukushima : le résumé des données)

(Mis à jour en juillet 2020. Photographie de titre : Yomiuri Shimbun/Aflo)

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Kadota RyûshôArticles de l'auteur

Né en 1958. Diplômé de l’Université Chûô, son premier emploi fut chez l’éditeur Shinchosha. Après une expérience de journaliste et de rédacteur éditorial pour l’hebdomadaire Shûkan Shincho, il devient indépendant en avril 2008. Ouvrages principaux : Yoshida Masao, l’homme qui a vu l’abîme de la mort, —les cinq cents jours de la centrale nucléaire Fukushima Daiichi (PHP Institute, 2012), ainsi qu’une trilogie Derniers témoignages de la Guerre du Pacifique (Shôgakukan, 2011-2012).

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