Enlèvements internationaux d'enfants par leurs mères japonaises

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Kamoto Itsuko [Profil]

Le Japon va enfin devenir partie à la Convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants par l'un de leurs parents. Nous présentons quelques éléments de réflexion sur les raisons qui peuvent conduire des femmes japonaises à agir de cette manière, et sur les aménagements à prévoir une fois que le Japon signera cette Convention.

Des Japonaises recherchées par le FBI

Qu'est-ce qui peut amener des femmes japonaises à se rendre coupables d'enlèvements internationaux ?

Premièrement, il est possible qu'une femme japonaise qui retourne chez ses parents au Japon avec son ou ses enfants sans en informer son mari n'ait pas conscience de commettre un enlèvement. Au Japon, le droit parental n'est pas partagé, alors qu'il l'est en Europe et en Amérique du Nord. Dans ces pays, on considère que même après un divorce, il est important pour le développement de l'enfant qu'il reste en contact avec ses deux parents.

Le site Internet du consulat du Japon à San Francisco avertit qu'emmener dans son pays son ou ses enfants sans l'accord de l'autre parent constitue un crime. Les Etats-Unis sont un pays fédéral où le droit de la famille diffère selon les Etats, et où tout crime ou délit impliquant plusieurs Etats relève de la compétence du FBI. Dans ce pays où le taux de divorce est élevé, on se lance dans une procédure de ce genre avec un avocat. Les « enlèvements » sont fréquents en cas de conflits entre les époux. Le FBI publie sur son site des listes des personnes recherchées, avec leurs photos et des informations à leur sujet. Dans la section intitulée « les enlèvements parentaux » apparaissent plusieurs visages de femmes japonaises, ainsi que des photos de leurs enfants, c'est-à-dire des victimes de ces enlèvements.

Au Japon, 90 % des divorces se font par consentement mutuel, sans passer par un tribunal, et la grande majorité des autres, par une procédure de conciliation au tribunal familial. Les divorces nécessitant une décision d'un tribunal ou les divorces par procès sont rares. Le droit parental est généralement attribué après un accord entre les époux. Depuis les années 1960, période de croissance rapide de l'économie japonaise, il revient majoritairement (dans près de 80 % des cas aujourd'hui) à la mère. Cela explique que des femmes qui ont grandi au Japon considèrent comme allant de soi l'idée de repartir chez leurs parents avec leur(s) enfant(s).

Une double minorité

Deuxièmement, une femme japonaise mariée à l'étranger peut avoir du mal à faire appel à un avocat pour négocier son divorce.

En Europe et en Amérique du Nord, avoir recours à un avocat au moment d'un divorce est fréquent. Il est difficile d'imaginer qu'une personne économiquement faible réussisse à trouver les fonds pour s'assurer les services coûteux d'un bon avocat.

Les épouses japonaises vivant à l'étranger font partie d'une double minorité : elles sont femmes et étrangères. Rares sont celles qui ont un vrai emploi dans le pays où elles ont immigré. Aux Etats-Unis par exemple, la probabilité qu'une femme originaire d'un pays d'Asie, y compris le Japon, soit dans une situation économique moins favorable qu'une femme américaine est élevée. Ces femmes qui sont nées et ont grandi dans des pays où la position de faiblesse des femmes est considérée normale ne se perçoivent pas comme faibles aux Etats-Unis, pays où la norme dans un couple est que les deux époux travaillent. Mais lorsque leur mariage s'effondre, elles souffrent d'un handicap économique dans un pays qui n'est pas le leur, tout en devant cependant assurer leur subsistance.

Troisièmement, il faut sans doute mentionner la fragilité des réseaux que ces femmes ont pu se constituer dans le pays où elles ont immigré. Ces Japonaises, issues de familles nucléaires de banlieue qui se sont généralisées pendant la période de croissance rapide de l'économie japonaise, ont souvent été élevées dans des familles centrées sur le rapport à la mère. Pour elles, recréer une famille de ce type à l'étranger, sans lien avec la communauté dans laquelle elles se trouvent, ne leur paraît nullement étrange, en tout cas pas au début. De plus, elles ont aussi souvent tendance à considérer leur(s) enfant(s) comme leur appartenant.

Beaucoup d'entre elles ont fait d'énormes efforts pour préserver leur famille malgré les violences conjugales qu'elles subissaient. Etablir rapidement un réseau d'entraide extra-familial est une manière de se protéger des risques. La capacité des femmes à le faire dépend de la personnalité et des compétences de chacune de ces immigrantes.

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Kamoto ItsukoArticles de l'auteur

Professeure de sociologie à l'Université féminine de Kyoto. Spécialiste de la sociologie historique des mariages internationaux, elle a obtenu en 1997 son doctorat de sciences sociales et culturelles au Collège doctoral de recherche avancée (Sôgô kenkyû Daigakuin). Elle a notamment été chercheur invitée à la School of African and Oriental Studies de l'Université de Londres et a écrit plusieurs ouvrages sur le sujet.

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