L’électronique grand public japonais en perte de vitesse : quelle stratégie pour l’avenir ?
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Les fabricants d’électronique grand public japonais sont dans une mauvaise passe. Les 3 géants japonais Sony, Sharp et Panasonic ont accusé des pertes considérables pour un total de 1 600 milliards de yens au bilan de l’exercice 2011-12, et s’emploient activement à redresser leurs finances. Ces pertes sont conséquentes en grande partie à un ralentissement sur le marché des téléviseurs qui s’explique principalement par l’achèvement en 2011, de la période de transition de la télévision analogique au nouveau système de télévision numérique terrestre, ainsi que du système d’écopoints sur l’électromenager “Vert” instauré par le gouvernement dont le but était d’encourager l’achats de produits à faible consommation d’énergie et favoriser la diffusion du téléviseur numérique.
L’électronique grand public japonais, supporté par la fiscalité et la politique des ondes nationale a ainsi profité d’une demande anticipée artificiellement, laquelle a été suivie en corollaire par une chute des ventes.
Du retard dans la spécialisation horizontale
Comme la valeur de production des produits liés aux téléviseurs s’élève à 6 000 milliards de yens sur une valeur de production totale de l’industrie électronique japonaise de 41 000 millions de yens, les conséquences ne sont pas négligeables.
D’importants fonds de restructuration sont nécessaires à la conduite d’une révision de l’activité et d’une réduction des effectifs. Là, les capitaux chinois et taïwanais apparaissent comme étant d’un secours considérable dans la collecte de ces fonds.
Sharp, en mars de cette année a reçu 133 milliards de yens de financement par Hon Hai Precision Industry, Co. Ltd ( nom commercial Foxconn ), le géant de Taiwan et a pu ainsi surmonter un stade critique. Hon Hai est devenu le premier actionnaire de Sharp avec 10% d’actions détenues.
Panasonic, l’an dernier, a cedé pour 10 milliards de yens une partie de sa section produits blancs ( L’ancienne division de Sanyo Electrics) à la grande société d’électromenager chinoise Haier, et Sony, de son côté a vendu une unité de production de téléviseurs méxicaine à Hon Hai. Quant à NEC, elle a créé une société de micro-ordinateurs en joint-venture avec la société chinoise Lenovo dont la participation s’élève à 51% du capital.
Parts de marché mondiales en CA sur téléviseurs extra plats et taux de croissance
Parts de marché (%) *1 | Taux de croissance (%) *2 | |
---|---|---|
Samsung (Corée du Sud) | 26,3 | +18 |
LG Electronics (Corée du Sud) | 13,4 | +2 |
Sony (Japon) | 9,8 | -34 |
Panasonic (Japan) | 6,9 | -19 |
Sharp (Japan) | 5,9 | -30 |
*1 Parts de marché au quatrième trimestre 2011
*2 Taux de croissance entre 2010 et 2011
Comment l’électronique grand public japonais, à son apogée dans les années 80, a-t-il pu voir son activité s’effondrer ainsi ?
Les phénomènes importants apparus au cours de ces vingt dernières années sont le développement ultra-rapide d’internet et du numérique. La numérisation a conduit à la standardisation des composants électroniques et à l’évolution de la conception modulaire. De là un marché de biens intermédiaires s’est développé, qui a permis à toute société de s’approvisionner pour produire à moindre coût, en assemblant ces composants standardisés. Grâce à cette évolution, la spécialisation horizontale est devenue une tendance générale.
Une des plus célèbres sociétés tirant profit de cette tendance est Vizio, un producteur de téléviseurs américain ayant démarré comme start-up.
Son siège se charge seulemet de la conception des produits, les panneaux LCD viennent de la Corée du Sud, et les semi-conducteurs de Taïwan. La société ne possède pas d’unité de production propre et sous-traite celle-ci à une société taïwanaise, réalise l’assemblage en Chine et vend le produit fini aux Etats-Unis.
Elle choisit les entreprises ou les régions offrant les meilleurs rapports qualité-prix et optimise ainsi sa gestion. Vizio réalise ses objectifs avec à peine 90 employés et se dispute une place d’honneur sur le marché étasunien.
Une hausse structurelle des coûts dûe au principe d’autosuffisance
Au mépris des changements stratégiques mondiaux, l’électronique grand public japonais a cru à sa supériorité technologique nationale et s’est entêté à maintenir son système d’autosuffisance ainsi que le système d’intégration verticale, caractéristiques de son organisation traditionnelle de production, sans pouvoir effectuer aucun changement en souplesse.
Dans le cas du téléviseur plasma Panasonic, les semi-conducteurs sont fabriqués à partir du silicone à l’usine de Toyama, située dans la région de Hokuriku, les écrans sont produits par les ateliers de Himeji dans le Kansai, et le tout est monté dans les unités d’assemblage de Amagasaki. De surcroit, étant donné que la fabrication est réalisée dans ses usines, avec ses employés et sa propre technologie, Panasonic est limité dans la réduction des coûts.
En 2009 il a investi 200 milliards de yens dans la construction de sa troisième usine d’Amagasaki dont la production a été arrétée deux ans plus tard à cause de la chute des prix mondiaux déjà amorcée à l’époque. De la même manière, le site de production de Sharp à Kameyama, connu pour la fabrication du téléviseur ACL (affichage à cristaux liquides) appelé « Modèle Kameyama », a arrêté aussi sa production 5 ans après l’achèvement de ses locaux, en 2004.
En bref, les raisons essentielles de l’échec de l’électronique grand public japonais ne résident pas seulement dans les « six contraintes » externes assujetissant la gestion au Japon (le yen fort, l’impôt sur les sociétés, la réglementation du travail, le coût de l’énergie électrique, etc.), mais aussi dans une structure interne empêchant d’opérer des changements d’orientation alors que la hausse structurelle des coûts, les orientations technologiques et son modèle de gestion lui font perdre sa compétitivité internationale en plein mutation globalisante.
La stratégie qu’a adopté l’électronique grand public japonais n’a pas été fondée sur la spécialisation horizontale mais sur une politique consistant à enrayer la chute des prix en intégrant de nouvelles technologies à haute valeur ajoutée. Un exemple marquant est le téléviseur 3D, qui fut très prometteur au lancement, mais dont les lunettes de visionnement eurent mauvaise presse et lassèrent vite les utilisateurs, ce qui en fit un fiasco.
Actuellement l’électronique japonais est sur le point de développer un téléviseur « 4K2K » (4000 pixels horizontaux x 2000 pixels verticaux) équipé d’un écran à la résolution 4 fois plus élevée qu’un téléviseur standard. C’est le degré de résolution utilisé dans les salles de cinéma grand écran mais aucune chaine de télévision n’a les capacités de diffusion ou les progammes adaptés à cette technologie. En outre, se pose la question de savoir si l’œil humain a besoin d'une résolution aussi élevée.
Dans le cas du téléviseur à écran OELD (diodes électroluminescentes organiques), considéré comme ayant un grand potentiel dans des produits de la prochaine génération, les fabricants japonais en furent les pionniers mais abandonnèrent temporairement son développement pour se ressaisir et essayer maintenant de combler leur retard sur les grands de l’électronique coréens Samsung et LG qui les ont devancés en la matière. De telles inconséquences laissent perplexe.
Les capitaux chinois et taïwanais comme mannes financières
De quelle manière l’électronique grand public japonais pourrait-il retrouver le chemin du profit ? Les trois géants japonais ont en commun le problème urgent et prioritaire de la restructuration de leur activité téléviseur qui continue à être mise à mal.
Les actions prioritaires à entreprendre sont l’externalisation de la production à l’étranger, la fermeture des unités de production nationales, l’intégration des filiales et la réduction des effectifs.
Comme manisfestation de sa volonté d’engagement, Mr Okuda Takashi, nouveau président de Sharp, a déclaré : « Nous allons revoir ce principe d’autosuffisance qui a conduit à des excès ». C’est une bonne prescription dont l’observance est néanmoins difficile car, au Japon, la principale résistance au traitement se trouve toujours au sein du corps malade. Ainsi changer le modèle d’entreprise ne sera possible qu’en alliant la force à la persuasion pour vaincre l’opposition interne que le changement ne manquera pas de susciter. Les dirigeants n'y parviendront que s'ils se montrent capables d’aller au-delà de la simple comprehension de leur environnement. Le résultat dépendra d’une décision de régénération sachant profiter de l’impulsion bénéfique que donnera le « sens de l’urgence ».
Passé ce stade, les 3 géants japonais pourront chacun tirer parti des technologies dans lesquelles ils excellent. Sony a declaré son intention d’orienter son activité vers l’imagerie numérique (appareils-photo, caméscopes, capteurs à semi-conducteurs).
Panasonic a en projet de mettre en synergie Panasonic Denko, Sanyo Electric, les filiales du groupe et de miser sur le concept de maison intelligente (smart house) intégrant à l’habitation, accumulateur, batterie solaire et de l’électroménager en interconnection.
En ce qui concerne Sharp, il est fort probable qu’Apple délégue sa production à Hon Hai Precision Industry au cas où il se lancerait dans le segment des téléviseurs (sous marque Apple TV). Ce serait alors l’opportunité de faire valoir sa technologie originale d’écran ACL.
Dans ces circonstances, l’idée de mettre en œuvre la manne financière que représentent les capitaux chinois et taïwanais est importante.
Haier a renouvelé complétement le design de la ligne de réfrigérateurs et de machines à laver de l’ex-Sanyo (marque Aqua) qu’il a racheté à Panasonic, et en six mois à peine, il est parvenu à s’imposer comme un des leaders sur le marché.
Les employés des anciens ateliers Sanyo, après avoir connu une période de vaches maigres, disposent maintenant d’un budget de développement conséquent et font l’experience de l’intérêt que peut susciter la compétitivité au niveau mondial.
Dans la stratégie globale de Haier, il est fort probable que la division devienne la base de développement vers toute l’Asie.
Une des tâches auxquelles devra s’atteler l’électronique grand public Japonais est l’élargissement de son activité vers les marchés des pays émergents, cependant leurs couches privilégiées n’attendent pas les produits high-tech made in Japan. Pour s’attaquer à ces marchés il lui faudra d’abord se mettre à l’école des fabricants d’électronique grand public chinois, taiwanais et coréens, qui ont une présence forte dans ces pays,et analyser la pertinence avec laquelle ils conçoivent des projets de produits adaptés au style de vie local et leur rapidité à les mettre en œuvre.
Des atouts à faire valoir dans la globalisation
Les entreprises japonaises qui auparavant était très méfiantes au sujet des rachats par les entreprises étrangères ont récemment modifié leurs vues à cet égard. Les entreprises en proie à des problèmes de gestion insolvables et résignées au dépôt de bilan, considèrent maintenant d’un œil ravi l’alternative d’avoir leurs capitaux technologique et humain exploités, ainsi que production et emplois préservés grâce aux compagnies à capitaux étrangers. En outre, même après leur rachat, elles sont imposées comme personnes morales locales et contribuent ainsi au PIB japonais. D’une façon plus large, en dehors de l’électronique grand public, les industries manufacturières du Japon sont aussi en train d’opérer une énergique mutation de fonds.
Durant l’exercice 2011, le montant des fusions et acquisitions des compagnies étrangères par des compagnies japonaises a doublé par rapport à l’exercice précédent pour atteindre 7 326,4 milliards de yens, leur nombre augmentant également de 20% avec 474 opérations, résultats historiques dans les deux cas (Etude réalisée par la SA Recof). Et cela, au moment de l’envolée historique du yen.
En résumé,dans l’industrie japonaise actuelle, tandis que certaines entreprises sont secourues par les capitaux étrangers, à l’image des fabricants d’électronique grand public, un nombre croissant de compagnies se lancent dans une politique de développement mondial par acquisition de firmes étrangères. J’ai le pressentiment que l’époque de l’internationalisation par simple implantation d’un bureau ou d’une filiale est révolue et que l’on va assister à l’émergence d’un grand nombre d’entreprises mondiales, qui vont disposer leur moyens de production, leurs réseaux de distribution et leurs forces de vente en des points stratégiques globaux afin d’optimiser leur gestion. Dans quelques années le paysage industriel devrait avoir radicalement changé.
(Texte original japonais écrit le 18 juin 2012. Photo en arriere-plan du titre : AFP)
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