La peine de mort au Japon
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D’année en année, le nombre des meurtres commis au Japon ne cesse de décroître, et pourtant celui des condamnations à mort augmente rapidement. En 2010, on a dénombré vingt condamnations à la peine capitale, pour 1 000 cas de meurtre et tentative de meurtre. Dans le même temps, le nombre des exécutions est en baisse et aucune n’a eu lieu l’an dernier. Si bien qu’il y a de plus en plus de détenus dans les quartiers des condamnés à mort. À l’heure actuelle (2011), ils sont 141 à attendre leur exécution. Dans le texte qui suit, je me propose de me livrer à un examen théorique et pratique du processus de condamnation à mort, après quoi je m’interrogerai sur l’état de l’opinion publique japonaise d’aujourd’hui en ce qui concerne la peine capitale.
Soutien passif et manque d’intérêt
L’appareil de justice criminelle en vigueur au Japon date de 1880. Il a été adopté après la Restauration de Meiji (1868) et la décision de doter le pays d’un appareil judiciaire conforme au modèle occidental. La peine de mort a été introduite peu après, les condamnations étant prononcées à l’issue d’un procès et le moyen d’exécution étant la pendaison. Une clause stipule que la sentence doit être appliquée dans un délai de six mois, mais comme toutes les condamnations à mort doivent être entérinées par le ministre de la Justice, cette disposition n’est jamais respectée dans la pratique.
Entre temps, et bien que le système judiciaire n’ait pas beaucoup changé, le nombre des condamnations et des exécutions a considérablement varié selon l’air du temps. Pendant de nombreuses années, la courbe des condamnations comme des exécutions ont eu tendance à baisser. La diminution du nombre des exécutions a été assez rapide, puisqu’on est passé d’une moyenne de trois par an entre 1970 et 1989 à aucune de 1990 à 1992. Les tribunaux n’en ont pas moins prononcé plusieurs condamnations à la peine capitale pendant la même période. Si bien que le quartier des condamnés à mort a vu ses effectifs gonfler jusqu’en 1993, année où les exécutions ont repris. Après quoi le nombre des condamnations comme des exécutions est resté stable jusqu’en 2003, avec un maximum de dix par an. Puis la courbe des condamnations s’est mise à grimper soudainement en 2004, pour dépasser les vingt par an en 2006 et 2007. Toutefois, la tendance à retarder les exécutions ou à y surseoir indéfiniment s’est perpétuée, tant et si bien qu’on dénombre aujourd’hui au Japon plus de 140 condamnés en attente d’exécution.
Comme ailleurs dans le monde, les droits de l’homme ont inspiré un fort courant abolitionniste. C’est ainsi qu’une section très active de la Fédération des barreaux japonais fait régulièrement campagne pour réclamer une étude officielle sur l’abolition de la peine de mort. Mais en règle générale, les questions liées aux droits de l’homme suscitent peu d’intérêt chez les Japonais, dont beaucoup jugent que les criminels n’ont de toutes façons aucun droit. C’est un problème qui affecte l’ensemble de l’appareil judiciaire, et une tendance que combattent les militants des droits de l’homme. Leur plus grande victoire à ce jour est d’avoir obtenu que quatre personnes condamnées à tort dans les années 80 soient rejugées et acquittées. Mais le débat abolitioniste est resté sans suite, sauf dans les affaires clairement entachées d’erreurs judiciaires.
Il est indéniable que la peine de mort jouit d’un large soutien au Japon. Mais, dans la majorité des cas, il s’agit d’un soutien passif et bien des gens la considèrent comme un mal nécessaire. On entend peu de plaidoyers ardents en faveur de la peine capitale et l’immense majorité des livres ou des articles qui lui sont consacrés réclament son abolition. Le fait est que la plupart des Japonais se sont habitués à penser que le meurtre et la peine de mort existent dans un monde qui n’a rien à voir avec celui où se déroule leur vie quotidienne. Jusqu’ici, ils n’ont guère manifesté d’opinion bien tranchée ni dans un sens ni dans l’autre. Ils ne se sentaient pas personnellement concernés. Et loin de se limiter à la question de la peine capitale, cette indifférence s’étendait dans une large mesure à l’ensemble de la vie politique.
Si cet état de fait s’était prolongé, il est probable que les pratiques pénales n’auraient aucunement changé. Mais une affaire criminelle récente a été tellement montée en épingle par les médias que la famille de la victime a connu une célébrité nationale, avec pour résultat une radicalisation de l’opinion publique en faveur d’un alourdissement des peines. Je pense quant à moi que les juges ont mal interprété l’évolution de l’opinion publique. Trompés par les sondages où des personnes interrogées, totalement dénuées de sens des responsabilités, déclaraient que la peine de mort est un mal nécessaire, ils en ont déduit que l’opinion publique était favorable à la peine de mort. Telle est à mon avis la raison de l’augmentation du nombre des condamnations à mort prononcées depuis quelques années.
Pas de bonne décision sans une information précise
La meilleure façon de s’attaquer aux racines de ce problème consisterait à faire en sorte que les gens puissent prendre des décisions responsables. En 2009, année de la mise en place du système des juges non professionnels, l’espoir s’est répandu que la participation de citoyens ordinaires aux décisions judiciaires aux côtés des magistrats professionnels contribuerait à remédier à l’indifférence du public et à renforcer son sens des responsabilités. Mais il se trouve que les juges non professionnels font souvent l’objet de pressions de la part des magistrats qui prennent part aux délibérations, et il y a eu beaucoup de condamnations à mort depuis l’introduction du nouveau dispositif. Je pense qu’il en irait tout autrement si l’on fournissait aux gens les informations dont ils ont besoin pour décider en connaissance de cause. Le manque de transparence en ce qui concerne les exécutions frise la manie du secret. Et pour aggraver encore les choses, bien des gens se figurent, si l’on en croit les sondages, que la criminalité et l’insécurité sont en hausse. Des décisions fondées sur de tels malentendus n’ont aucune validité.
Fondamentalement, l’opinion publique au Japon est-elle en faveur de la peine de mort ou de son abolition ? C’est une question à laquelle il n’est pas facile de répondre. Comparé à ce qui se passe dans d’autres pays prospères, il est extrêmement rare qu’un suspect soit abattu en cours d’arrestation ou meurt en prison. À cet égard, le Japon fait bonne figure en termes de respect des droits de l’homme. Il faut aussi savoir qu’au Moyen âge la peine de mort a été abolie pendant plus de 300 ans, pour ne pas violer le précepte bouddhiste qui interdit de tuer. Par la suite, en revanche, bien des gens sont morts sur le bûcher ou ont été exécutés par d’autres méthodes cruelles, tandis qu’à une époque aussi récente que la seconde guerre mondiale les traditions propres à la classe des samurai étaient mises à contribution pour justifier les attaques suicides des kamikaze. Le concept de réincarnation a sans doute eu lui aussi une certaine influence, qu’il n’est pas facile d’évaluer.
En ce qui me concerne, je pense que la meilleure solution consisterait, non pas à abolir la peine capitale, mais à la cantonner à un statut symbolique. Plus concrètement, il me semble que la décision de l’appliquer devrait être prise par la justice au cas par cas, plutôt que d’être laissée au corps législatif. À cette fin, je maintiendrais la possibilité de prononcer une condamnation à mort à l’issue d’un procès. Après quoi je souhaiterais que, nonobstant cette possibilité, des instructions soient données pour qu’en fin de compte la sentence ne soit pas exécutée. La peine capitale serait maintenue dans les textes de loi, mais il y aurait de facto un moratoire sur les exécutions. Tel est l’idéal vers lequel j’aimerais tendre.
(D’après un original écrit en japonais le 13 février 2012)