Le mont Fuji et la culture japonaise

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Depuis les temps lointains de l’époque ancienne, le mont Fuji a toujours inspiré de l’admiration et du respect aux Japonais et il a servi de thème à de nombreuses œuvres picturales et littéraires. Pourquoi le Fujisan est-il si cher au cœur des Japonais ? C’est la question à laquelle Takashina Shûji, spécialiste de l’histoire de l’art et professeur émérite de l’Université de Tokyo, cherche à répondre dans les lignes qui suivent.

Une montagne representée dans l’art

Toutefois, Katsushika Hokusai était loin d’être le seul dans ce cas. On aurait en effet bien du mal à trouver un peintre renommé de l’époque d’Edo (1603-1868) qui n’ait pas laissé au moins une œuvre en relation avec le mont Fuji. En fait, cette montagne a été représentée un nombre incalculable de fois sur des paravents, des portes coulissantes, des rouleaux de peinture, des mandalas(*1), des cartes, des tissus et des objets usuels. Cette tendance est particulièrement manifeste dans le monde de l’estampe de l’époque d’Edo (ukiyo-e) que les gens du peuple appréciaient au plus haut point. La demande en images a augmenté lorsque le culte dont faisait l’objet le mont Fuji s’est répandu et que son ascension est devenue une pratique courante ; c’est alors que de nombreux maîtres de l’ukiyo-e ont réalisé des estampes et des livres qui lui étaient consacrés. Parmi eux figure Andô Hiroshige (1797-1858), qui montra tout autant de talent que Hokusai dans l’art du paysage. C’est d’ailleurs en partie pour répondre à son illustre prédécesseur que Hiroshige a décidé de publier à son tour « Cent vues du mont Fuji » sous la forme de plusieurs livrets. Bien qu’il ait renoncé à son projet initial après la parution d’un premier volume composé de vingt images, il n’en a pas moins laissé deux séries différentes d’estampes qui reprennent toutes deux le fameux titre « Trente-six vues du mont Fuji » de Hokusai. Le mont Fuji figure également en bonne place dans les très célèbres « Cinquante-trois étapes du Tôkaidô » (Tôkaido gojûsantsugi) de Hiroshige ainsi que dans les « Cent vues des lieux célèbres d’Edo » (Meisho Edo hyakkei), son ultime chef d'œuvre. Les estampes représentant le mont Fuji, loin de s’adresser aux seuls amateurs d’art, servaient aussi de souvenirs aux voyageurs et aux visiteurs d’Edo, ce qui tend à prouver à quel point cette montagne était proche des Japonais de l’époque.


Hiroshige. Yui, extrait des « Cinquante-trois étapes du Tôkaidô ».

Outre qu’il se trouve pratiquement au centre de l’Archipel et qu’il est de loin le plus haut (3 776 mètres) des sommets du Japon, le mont Fuji se signale par son imposante beauté, ce qui explique pourquoi il a suscité de tout temps l’admiration et le respect des Japonais. Il figure dans maints et maints poèmes du Manyôshû, une anthologie poétique compilée au milieu du VIIIᵉ siècle. On le trouve en particulier dans un célèbre poème long (chôka) de Yamabe no Akahito, qui débute comme suit :

Depuis que le ciel et la terre se sont séparés
la haute cime du mont Fuji
se dresse à Suruga
noble et altière
telle une divinité.
(Manyôshû, 317)

Par la suite, le mont Fuji a été souvent mentionné dans les poèmes de style japonais (waka) et les récits (monogatari). Dans le domaine de la peinture, la plus ancienne représentation que l’on connaisse se trouve dans la Vie illustrée du Prince Shôtoku (Shôtoku taishi eden), qui date du milieu du XIᵉ siècle. On y voit Shôtoku Taishi (574-622) en train de gravir le mont Fuji sur un cheval noir que lui avait offert la province de Kai (l’actuelle préfecture de Yamanashi). Cette légende s’est répandue en même temps que les croyances en relation avec le prince Shôtoku et elle figure invariablement dans les nombreux autres rouleaux de peinture qui ont été consacrés par la suite à ce personnage. On peut donc dire qu’elle a contribué à graver l’image du mont Fuji dans la conscience collective du peuple japonais. À l’époque de Kamakura (1192-1333), le Fuji apparaît, entre autres, dans le rouleau de peinture intitulé Légende illustrée du moine itinérant Ippen (Yûgyô shônin engi e), qui relate l’histoire du moine Ippen (1239-1289), fondateur de la secte amidiste Jishû, et de ses pérégrinations à travers le pays où il répandit son enseignement, fondé sur la récitation du nom du bouddha Amida (nenbutsu). Toutefois, on notera qu’il existe aussi dès cette époque des peintures exclusivement consacrées au mont Fuji.

Hata no Chitei, Vie illustrée du Prince Shôtoku (Shôtoku taishi eden).(Musée national de Tokyo)

Mais à partir de la période d’Edo, les liens entre le Fuji et les Japonais ont complètement changé. C’est alors, en effet, que cette montagne est devenue une entité proche et familière des gens du peuple, comme le suggèrent les œuvres de Hokusai et Hiroshige. L’expansion rapide de la ville d’Edo après qu’elle eut été choisie comme siège du gouvernement (bakufu) par les shôgun Tokugawa n’est certes pas étrangère à cette évolution.

(*1) ^ Représentations symboliques et géométriques de l’univers, notamment dans le bouddhisme. ——N.D.L.R.

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