Comment les médias ont formé les traditions modernes du sumo

Société Culture

James Singleton [Profil]

De nombreux éléments du sumo familiers aux fans d’aujourd’hui ont vu le jour dans les temps modernes. Durant une récente conférence à la Maison Internationale du Japon à Tokyo, Lee Thompson, professeur à l’Université Waseda, a mis en lumière certains d’entre eux. Une chose est sûre, les médias ont joué un rôle prépondérant dans ces changements depuis le XIXe siècle.

Le sumo peut se targuer d’une histoire impressionnante qui, pour certains, remonte à 2 000 ans. Pratiquement tous les aspects de ce sport – de la tenue et des coutumes des lutteurs jusqu’aux rituels exécutés durant les tournois – semblent dater de l’antiquité.

Toutefois, il se trouve que bon nombre de changements concernant la discipline ont été effectué que tout récemment. Et pas des moindres. Par exemple, le système de championnat actuel – où le rikishi, ou lutteur, ayant le meilleur score reçoit les plus grands honneurs du tournoi – ou encore des aspects de l’image traditionnelle de ce sport. (Voir notre article introductif sur le sumo)

Accorder de l’importance aux vainqueurs des matchs

Lee Thompson, spécialiste de la sociologie des sports et co-auteur d’un ouvrage très complet intitulé Japanese Sports : A History (Histoire des sports japonais), fait remonter le début de ces changements vers le milieu de l’ère Meiji (1868-1912) et les attribue principalement à l’influence des journaux.

Lee Thompson, professeur à l’Université Waseda, s’exprime à la Maison Internationale du Japon (Avec l’aimable autorisation de la Maison Internationale du Japon)

L’invention moderne qui a révolutionné la structure du sumo a été le développement d’un système de championnat basé sur les résultats individuels. Thompson fait remarquer que pendant la majeure partie de l’histoire du sumo, les tournois, ou basho, n’avaient pas de grand champion et n’offraient pas de prix aux lutteurs les plus performants. Le score d’un lutteur lors d’un tournoi n’était pas important, et la promotion dans la hiérarchie était plus étroitement liée à la popularité qu’à la prédominance dans l’arène.

À partir de la seconde moitié du XIXe siècle toutefois, les journaux ont progressivement déplacé l’intérêt du public vers les scores d’ensemble des lutteurs. Une des premières conséquences a été l’apparition de feuilles de match nommées hoshitori-hyô, soit littéralement des cartes comptabilisant les « étoiles » ou victoires obtenues par les rikishi durant leurs combats. Elles ont commencé à être publiées dans les pages du quotidien Yomiuri Shimbun en 1884 en tant que résumés rudimentaires des résultats à la fin d’un basho. En 1900, les feuilles de match avaient évolué et occupaient désormais une partie centrale de la couverture quotidienne des tournois par les journaux. Plus d’un siècle plus tard, elles sont devenues des résumés complets permettant de comprendre d’un coup d’œil les leaders d’un tournoi dans la division supérieure des makunouchi (ou makuuchi).

Les lutteurs récompensés par les journaux

Les hoshitori-hyô ont été soutenues par l’introduction de récompenses pour les lutteurs les plus performants qui ont concentré encore plus l’attention des supporters sur les gagnants et les perdants. Le journal Jiji Shimpô a été le premier à offrir une récompense lors d’un tournoi en 1889, choisissant de le donner à tout lutteur ayant fini le championnat invaincu.

À l’époque, toutefois, les règles permettaient une grande variété de résultats et ne se limitaient pas à de simples clivages entre vainqueurs et vaincus. Par exemple, un affrontement entre des participants de force égale pouvait se terminer par un match nul, les absences et la non-participation étaient enregistrées comme telles, et ne résultaient pas en abandon. Avec ce système, un rikishi pouvait terminer un tournoi invaincu sans avoir gagné tous les matchs – ou théoriquement chacun d’eux.

Pour illustrer ce fait, prenons le cas de Konishiki, un combattant pugnace dans la division supérieure makunouchi. Celui-ci avait obtenu le prix inauguratif, et Thompson fait remarquer qu’il l’avait fait sans gagner pour autant tous les matchs, finissant avec un résultat de sept victoires, un match nul et un sans décision. Des trophées étaient également attribués aux deux rikishi invaincus des divisions inférieures si leur dernier affrontement du tournoi se concluait en match nul.

Les autres journaux ont rapidement suivi, avec des récompenses personnelles pour les lutteurs invaincus. Toutefois, sans moyen de décider d’un vainqueur définitif, les prix n’étaient pas attribués si aucun rikishi ne pouvait finir le tournoi invaincu. Reconnaissant le problème, des quotidiens comme l'Osaka Mainichi Shimbun commencèrent dès 1900 à attribuer des récompenses aux lutteurs ayant obtenu les meilleurs résultats. De nouveaux critères, comme l’attribution de prix au rikishi ayant été le moins défait, ou au lutteur de plus haut rang dans le cas d’un match nul, furent adoptés pour remédier à l’ambiguïté des résultats et assurer un seul gagnant. Plus tard, les journaux ont également attribué leur prix aux divisions les plus hautes et ont commencé à offrir régulièrement des trophées à la place des honneurs ponctuels.

Suite > Le gagnant prend tout

Tags

média tradition sumo tradition

James SingletonArticles de l'auteur

Traducteur et éditeur à nippon.com. Diplômé en Etudes asiatiques de l’Université d’Oregon en 1996, il s’installe dès la même année au Japon, où il étudie la langue et voyage en train ou à pied en quête de l’histoire, de la culture et des dialectes locaux. A également été instituteur en maternelle et père au foyer. Traducteur depuis 2008, indépendant et pour un grand fabricant japonais du secteur agroalimentaire, avant de rejoindre nippon.com en 2014.

Autres articles de ce dossier