Parler de l’empereur en japonais : le « saikô keigo »
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Un keigo supérieur
[Article mis à jour en novembre 2023] Lorsque le personnel de service s’adresse à la clientèle au Japon, il fait preuve de courtoisie en utilisant le langage honorifique, appelé keigo. Puisque le client est roi, la déférence appropriée est de mise. Une différence de rang – que ce soit lors d’une brève intervention de service ou dans une entreprise – met en jeu un vocabulaire différent que celui qui est utilisé dans une conversation habituelle, de tous les jours. Il faut souvent du temps, même à un jeune diplômé japonais dans un nouvel environnement, pour apprendre à utiliser correctement ce vocabulaire, sans parler bien entendu d’un étranger apprenant la langue.
C’est un des niveaux de keigo, mais que se passe-t-il si la personne à laquelle vous vous adressez est vraiment roi – ou empereur ? Il existe, au-dessus du langage honorifique standard, un autre niveau appelé saikô keigo utilisé lorsque l’on s’adresse ou que l’on parle de personnes de rang élevé. Il s’applique à la fois à la famille impériale japonaise et aux membres des familles royales étrangères, mais pas aux présidents ou autres chefs d’État roturiers, et il était également requis autrefois pour le shôgun, les régents et les autres membres puissants de la noblesse.
Comme pour la forme standard du langage honorifique, saikô keigo possède des noms, des verbes et d’autres mots distincts qui se substituent à ceux du vocabulaire de tous les jours. Ils apparaissaient autrefois très fréquemment dans les journaux et les reportages radio sur les activités impériales. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, toutefois, la forme la plus haute du langage honorifique a largement disparu des média. Certains mots subsistent, néanmoins, en tant que représentants de cette forme révérencieuse de discours.
Majesté et Altesse
L’empereur Naruhito est nommé en japonais tennô heika (天皇陛下), qui pourrait se traduire par « Sa Majesté impériale » ou, plus littéralement, « Sa Majesté, l’empereur ». Le terme heika, utilisé ici, est le saikô keigo le plus couramment employé en japonais aujourd’hui. Ce titre honorifique est donné uniquement à l’empereur et à l’impératrice (kôgô heika), l’impératrice douairière (la veuve de l’empereur précédent lorsqu’elle survit à son époux, kôtaigô heika) et, en théorie, à la grande impératrice douairière (l’impératrice une génération avant, taikôtaigô heika) bien qu’il n’y ait pas eu de grande impératrice douairière japonaise depuis des siècles.
Les autres membres de la famille impériale sont officiellement appelés denka (殿下). Le prince héritier Fumihito (le frère du souverain), par exemple, est appelé kôtaishi denka (皇太子殿下). Si heika est grosso modo équivalent à « Majesté » en français, denka peut être considéré comme « Altesse », cette traduction du terme japonais étant préférée par l’Agence de la maison impériale. Ces titres de courtoisie ne sont cependant pas requis à tout prix pour la plupart des membres de la famille impériale et le terme honorifique standard sama est également vu et entendu régulièrement dans les médias. Kôgô sama, kôtaishi sama, par exemple. Exception faite pour l’empereur qui est toujours tennô heika et ne peut jamais être tenno sama.
Lorsque l’empereur Hirohito décède le 7 janvier 1989, presque tous les journaux japonais ont imprimé le terme hôgyo (崩御), un mot signifiant « disparaître » en saikô keigo. Seuls quelques uns d’entre eux, y compris le journal Akahata du Parti communiste japonais, choisirent de ne pas employer ce terme. Il va sans dire que le désir de montrer un respect particulier en se référant au décès d’un empereur a aidé à préserver ce terme honorique le plus élevé dans le langage alors que beaucoup d’autres étaient tombés en désuétude.
En octobre 2016, le journal Sankei Shimbun a employé le terme peu usité de kôkyo (薨去) pour décrire le décès du prince Takahito de Mikasa, le grand oncle de l’empereur Naruhito. D’autres journaux, toutefois, ont utilisé le terme honorifique standard de seikyo (逝去).
« La radiodiffusion de la voix du Joyau »
Un autre mot du saikô keigo qui reste encore quelque peu en usage est gyôkô (行幸), qui est utilisé lorsque l’empereur quitte le palais pour voyager quelque part. Il est souvent vu dans sa variante gyôkôkei (行幸啓) signifiant que l’empereur et l’impératrice sortent pour effectuer une visite ensemble. S’ils font un voyage en train, ils sont conduits le long d’une route appelée Gyôkô-dôri qui passe entre le palais impérial et la gare de Tokyo. (Une courte liste des termes utilisés pour décrire les voyages impériaux est disponible sur le site Internet de l’Agence de la famille impériale, en japonais uniquement).
Un voyage impérial dans plusieurs endroits est appelé junkô (巡幸). Le plus célèbre d’entre eux est le voyage effectué dans l’ensemble du Japon par l’empereur Hirohito après la Seconde Guerre mondiale. Avec l’appui du général Douglas MacArthur et du commandement suprême des forces alliées, l’empereur a effectué une série de junkô qui vont en définitive l’amener dans chacune des préfectures du Japon, à l’exception d’Okinawa, encore sous la domination militaire des États-Unis à ce moment-là. Ces voyages commencèrent en 1946 pour finir en 1954 avec sa visite de Hokkaidô.
Un autre usage historique du saikô keigo associé à l’empereur Hirohito est le gyokuon hôsô (玉音放送) ou « la radiodiffusion de la voix du joyau » le 15 août 1945, durant laquelle il annonce au peuple japonais que le pays s’est rendu aux forces alliées. Ceci a constitué non seulement une occasion significative en elle-même mais c’était également la première fois que la voix de l’empereur était diffusée à la radio – le gouffre linguistique entre l’empereur et ses sujets s’étant toutefois traduit par le fait que bon nombre des auditeurs ont trouvé son discours difficile à comprendre.
Certains organes de presse ont repris l’expression gyokuon hôsô pour le message vidéo de l’empereur Akihito concernant son abdication, diffusé en août 2016.
Bien qu’il subsiste aujourd’hui principalement en tant que partie de l’expression toute faite gyokuon hôsô, la « voix du joyau » ou gyokuon était autrefois utilisée en standard pour parler d’un discours de l’empereur. De la même manière, le visage impérial était appelé ryûgan (竜顔, visage du dragon). À la place du verbe courant, suru (faire), les actions de l’empereur étaient décrites en utilisant asobasareru, etc. On peut trouver d’innombrables exemples dans les textes de japonais et les livres d’histoire mais de nos jours, seules les personnes en relation étroite avec la famille impériale sont capables d’utiliser ce langage couramment. Les étudiants en japonais ne doivent se sentir concernés que par quelques uns des mots de base présentés ici. Il est fascinant de constater, toutefois, comment cette forme parallèle de langage offre une étape de complexité supplémentaire, au-dessus du langage honorifique standard.
(Photo de titre : l’empereur retiré Akihito et l’impératrice retirée Michiko, les parents du souverain actuel, lors d’une exposition des oeuvres de Kuroda Seiki au Musée national de Tokyo, le 11 mai 2016. Jiji Press)