Les onomatopées japonaises : des sons, des images, des sensations…

Culture Le japonais

Richard Medhurst [Profil]

Potsu potsu (ploc ploc). Des gouttes commencent à tomber. Une petite pluie fine s’installe shito shito et aussitôt, les passants ouvrent leur parapluie. Ils pressent ensuite le pas quand il se met franchement à pleuvoir para para (flip-flip). Avant de se précipiter pour trouver un abri, dès que l’averse tourne au déluge zaa zaa.

Le japonais dispose d’un nombre très important de termes pour décrire les sons, et en particulier d’une quantité d’onomatopées beaucoup plus grande que bien des langues, entre autres l’anglais. « Onomatopée » vient du grec onomatopoiia qui signifie littéralement « mot créé pour imiter des sons produits par des êtres animés ou des objets ». Au Japon, l’usage des onomatopées va bien au-delà de la reproduction de sons (giongo, 擬音語), puisque certaines d’entre elles font référence à un état physique ou émotionnel (gitaigo, 擬態語).

Les onomatopées japonaises se présentent sous la forme de kana tirés d’un des deux syllabaires composés chacun de quarante-six signes phonétiques qui sont utilisés en complément des idéogrammes (kanji) pour transcrire la langue nippone. De ce fait, ceux qui apprennent le japonais, qu’ils soient originaires de l’Archipel ou du reste du monde, ne leur accordent en général pas autant d’attention qu’aux kanji. Au Japon, les enfants sont tenus de mémoriser un certain nombre d’idéogrammes chaque année, tout au long de leur scolarité. Et les adultes mesurent volontiers l’étendue de leurs connaissances en la matière à l’aide du « test d’aptitude pour les idéogrammes japonais » (kanji kentei) qui porte sur six mille caractères. Quant aux étudiants étrangers, ils évaluent souvent leur progrès linguistiques en fonction du nombre de kanji qu’ils ont réussi à assimiler.

Si les onomatopées jouissent d’un moindre prestige – qu’elles décrivent des sons ou des états –, c’est semble-t-il en partie parce que les habitants de l’Archipel apprennent beaucoup d’entre elles dès leur plus jeune âge. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il s’agit d’un vocabulaire enfantin. Au Japon, les giongo mentionnés ci-dessus à propos de la pluie – potsu potsu et para para – ont parfaitement leur place dans une conversation normale entre adultes, contrairement à leurs équivalents français « ploc ploc » ou « flip-flip ». La même remarque vaut pour quantité d’autres expressions en apparence simples mais dont le sens peut sembler difficile à saisir en l’absence des précieuses indications qu’apportent les idéogrammes.

L’expression des sons dans la langue japonaise

Le terme utilisé le plus fréquemment au Japon pour désigner les onomatopées est giongo. Certains font toutefois une distinction entre giongo, limité aux bruits produits par des objets, et giseigo (擬声語), réservé aux sons émis par les êtres humains et les animaux. Quand les Japonais parlent d’animaux à de très jeunes enfants, ils utilisent souvent les onomatopées spécifiques correspondant à leurs cris. Wan wan (ouah ouah) signifie alors à la fois « aboiement » et « chien », et nyan nyan (miaou), « miaulement » et « chat ».

Bien qu’elles diffèrent à bien des égards de leurs équivalents dans les autres langues, les onomatopées japonaises obéissent à des règles facilement vérifiables quand on les rencontre pour la première fois. Les giongo qui contiennent les voyelles i et e font en général référence à des sons appartenant au registre du faible ou de l’aigu. En revanche, les onomatopées où figurent les lettres o, oo, u, et aa correspondent normalement à des sons plus forts et plus graves. Shito shito désigne ainsi une pluie fine et zaa zaa une grosse averse. De même shiku shiku signifie pleurer à bas bruit, en silence, alors que waa waa veut dire sangloter, pleurer à chaudes larmes.

On observe des constantes du même ordre en ce qui concerne les consonnes. Les onomatopées qui commencent par des consonnes sourdes comme k, s et t imitent des sons plus faibles que celles dont la première lettre est une consonne sonore telle que g, z ou d. Ton ton (toc toc) qualifie des petits coups discrets frappés sur une porte, tandis que don don (boum boum) témoigne d’un bruit nettement plus violent. De même, kasa kasa (crac crac) fait allusion au craquement léger des feuilles sèches sous les pas, alors que gasa gasa s’applique au frémissement des branches dans une forêt secouée par le vent.

Le sens des giongo est plus facile à comprendre quand on tient compte de ce type de constantes qui se vérifient d’ailleurs dans une certaine mesure dans les autres langues, en particulier en ce qui concerne les voyelles. En français « flic » indique par exemple un son plus faible que « flac » ou « floc ».

Suite > Des onomatopées qui décrivent des états physiques et émotionnels

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Richard MedhurstArticles de l'auteur

Traducteur et éditeur pour Nippon.com. Titulaire d’un mastère de poésie moderne et contemporaine obtenu en 2002, à l’Université de Bristol. Est parti la même année pour le Japon où il a enseigné l’anglais pendant trois ans, à Chiba. A également vécu en Chine et en Corée. A travaillé à la mairie d’Izumi, dans la préfecture de Toyama de 2008 à 2013. S’est ensuite installé à Tokyo où il est devenu traducteur à plein temps chez Nippon.com en 2014.

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