Faire découvrir « Anne… la maison aux pignons verts » aux petits Japonais

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Peter Durfee [Profil]

La publication d’« Anne… la maison aux pignons verts »

Une rencontre cruciale intervient alors, celle avec Anne… la maison aux pignons verts. C’est vers 1939 qu’un missionnaire canadien donne à Hanako le roman en anglais, Anne of Green Gables. Alors que le monde s’enfonce dans la Seconde Guerre mondiale, Hanako entame la traduction de ce roman, sans doute vers 1943. Dans cette situation dramatique, rien ne permet d’espérer une publication, mais, d’après Eri, Hanako « garde constamment sur elle le roman anglais et sa traduction manuscrite, jusque dans les abris anti-aériens où elle se réfugie à chaque alerte ».

« Le thème du roman, la vie d’une jeune fille à la campagne, et l’amour de la poésie qui le traverse, rappelaient à ma grand-mère sa jeunesse ; cela lui a certainement donné envie de le traduire. »

Kate MacDonald Butler (à droite), petite-fille de l’auteur L. M. Montgomery, et Muraoka Eri, petite-fille de Muraoka Hanako, à l’exposition « Anne… la maison aux pignons verts de Montgomery et Hanako » au grand magasin Nihonbashi Mitsukoshi à Tokyo.

A la fin de la guerre, la traduction d’Anne… la maison aux pignons verts est prête, mais après-guerre, la censure et la limitation des moyens d’expression imposées par les forces alliées et le dénuement dans lequel se trouve le monde de l’édition au Japon rendent impossible toute nouvelle publication. Vers 1950, la situation s’améliore enfin, et un éditeur de la maison Mikasa Shobô s’intéresse à la traduction du roman de Lucy M. Montgomery, alors totalement inconnue au Japon.

Mais lors de la publication, des désaccords se font jour sur le choix du titre. A l’époque, Hanako souhaitait appeler le livre « La jeune fille à la fenêtre », mais l’éditeur lui propose « Anne la rouquine ». Hanako semble avoir été contre ce titre, mais sa fille adoptive Midori l’aurait convaincue de l’accepter, soulignant sans ambages que celui que proposait Hanako était bizarre. Celle-ci aurait alors cédé, se disant que « ce roman sera lu par des jeunes, et c’est peut-être eux qui ont raison pour le titre aussi. »

C’est ainsi qu’en 1952, environ sept ans après l’achèvement de la traduction, « Anne la rouquine » (Anne… la maison aux pignons verts) voit enfin le jour.

Hanako et l’Île-du-Prince-Édouard

Hanako est décédée lorsqu’Eri avait à peine un an. Mais sa sœur aînée, Mie, a huit ans de plus qu’elle, et elle se souvient de sa grand-mère, notamment des livres qu’elles lisaient ensemble. « A la maison, nous avions plein de livres pour enfants dans lesquels il était inscrit "Pour Mie, de la part de sa grand-mère". Chaque fois que j’ouvrais un livre, il n’y avait pas mon prénom dedans, mais celui de Mie… J’étais jalouse. » Mais dans Vacances à Osaka, un essai rédigé juste avant sa mort, Hanako met en scène Eri. Dans ce passage, elle insiste sur le fait qu’il ne faut jamais séparer un enfant de sa mère, quoi qu’il arrive.

« Un jour, ma mère et ma sœur étaient sorties, et c’est ma grand-mère qui me gardait. Et alors, il paraît que je me suis soudain mise à pleurer, j’étais inconsolable. A l’époque, ma grand-mère préparait un voyage à l’Île-du-Prince-Édouard, où se déroule l’histoire d’Anne, et elle envisageait d’y aller avec ma mère, Midori. Mais à cause de cet incident, elle s’est dit qu’elle ne pouvait pas nous séparer et elle a abandonné l’idée. A peine une semaine plus tard, elle était emportée par une attaque cérébrale. »

« Elle avait souvent pensé se rendre à l’Île-du-Prince-Édouard, mais au bout du compte, elle n’a pas pu réaliser son rêve. Parce qu’il y avait toujours quelque chose d’autre qui prenait le pas sur ce projet. Elle s’est occupée de mon grand-père, qui était de constitution faible, et elle est restée avec nous pour éviter de nous séparer temporairement, ma mère et moi. Avec le recul, je pense qu’à travers son travail, la traduction, elle a réussi à créer sa propre Île-du-Prince-Édouard, l’endroit où elle se sentait le mieux au monde. »

 

Bibliographie : Le berceau d’Anne – la vie de Muraoka Hanako (Shinchô bunko, 2011)

(D’après un texte original en anglais du 22 juin 2014.)

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Peter DurfeeArticles de l'auteur

Traducteur et éditeur pour Nippon.com et directeur de la Nippon Communications Fondation. Il est venu au Japon en 1985. Après avoir terminé ses études à l’American School in Japan, il obtient un diplôme en langue japonaise à l’Université de Californie à Berkeley. Il rejoint Japan Echo Inc. en 1996 comme traducteur vers l’anglais pour Japan Echo et le Japan Review of Internation Affairs, ainsi que pour d’autres clients, privés et institutionnels. Il a traduit le Voyage du Docteur Noguchi, une biographie du Dr Hideyo Noguchi.

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