160 ans d’amitié franco-japonaise : les deux pays peuvent-ils se faire une place en Asie de l’Est ?
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Une nouvelle relation franco-japonaise ?
L’année 2018 marque le 160e anniversaire des relations diplomatiques entre la France et le Japon, qui ont signé en 1858 un traité d’amitié et de commerce. À cette époque où l’Archipel venait d’abandonner sa politique de fermeture et entrer dans la communauté internationale, la France représentait un bon modèle de modernisation. Aujourd’hui, les deux pays ont créé un partenariat stable. Quelles relations doivent-ils rechercher pour l’avenir ?
Chaque fois que je me rends en France, je suis étonnée par la recherche perpétuelle de réforme de ce pays à la longue histoire. À cet égard, Marseille m’impressionne particulièrement. Cette ville que j’apprécie beaucoup a pendant longtemps souffert d’une image négative due au chômage et à la criminalité. Ces dernières années cependant, grâce au réaménagement de la zone portuaire, la cité phocéenne est en passe de se transformer en une agglomération visitée par les touristes qui débarquent des bateaux de croisière, attirés par les gratte-ciel conçus par de célèbres architectes et par les centres commerciaux et culturels issus de la rénovation des vieilles installations portuaires. Forte de sa nouvelle identité de ville méditerranéenne, Marseille s’active à devenir une base pour le transport maritime mondial.
De l’autre côté de l’horizon, se trouve Shanghai, une ville moteur de l’Asie de l’Est, une région en plein dynamisme. En 2017, année qui marquait le 30e anniversaire de leur jumelage, les deux villes ont signé un accord destiné à intensifier leur coopération. Alors que l’économie japonaise connaît un lent déclin, il faut absolument s’en inspirer, mais en adoptant une perspective plus vaste : celle de l’Asie de l’Est, Chine comprise. J’y vois une stratégie future que devrait suivre le Japon.
L’Asie de l’Est, au cœur de laquelle se trouve la Chine, est appelée à jouer un rôle central dans le monde. Parmi les idéologies diverses que composent les pays de cette région, le Japon est l’un des rares qui partagent les mêmes valeurs et modèles que les pays occidentaux. Vu sous cet angle, la relation stratégique entre le Japon et la France devra acquérir une importance encore plus grande.
Les ambivalences de l’Asie de l’Est
La complexité de la région de l’Asie de l’Est réside sans doute dans l’intrication de deux univers : l’économie et la défense.
Sur le plan de la défense, la région abonde en tensions complexes. La Corée du Nord, qui pourrait être récompensée par les États-Unis si elle renonce au nucléaire, a entrepris d’améliorer ses relations avec la Corée du Sud, dans une diplomatie sur laquelle elle concentre toute son attention. La situation va probablement continuer à évoluer. Certains signes montrent aussi que la Russie penche plus vers le Pacifique, et chacun se souvient des plus grandes, et très spectaculaires, manœuvres militaires jamais menées depuis la Guerre froide par la Chine et la Russie cet été avec la participation de Xi Jinping. La Chine montre plus que tout une fermeté inébranlable dans sa quête d’expansion maritime et au sujet des territoires disputés, suscitant l’hostilité de ses voisins, avec qui le Japon a du reste diverses questions pendantes…
Plutôt que d’adopter une perspective internationale, tous ces pays, qui ont vu le nationalisme progresser ces dernières années, accordent la priorité à leurs intérêts et à ce qui relève de leur situation intérieure. Tout ceci instaure un climat de méfiance mutuelle dans la région. Bien sûr, il y a peu de risque que ces éléments créent des conflits immédiats, mais la communauté internationale tout entière doit veiller à ce que des incidents fortuits ne conduisent pas à une crise mondiale.
D’un autre côté, les liens économiques en Asie de l’Est sont de plus en plus dynamiques, et l’interdépendance économique mutuelle de la région lui apporte la croissance. Mais pour le Japon, cela a impact négatif. En effet, en transférant des usines à l’étranger à l’instar des pays européens, la production industrielle de l’Archipel a diminué, le forçant à entreprendre de grandes restructurations.
En considérant toutefois l’Asie de l’Est dans sa globalité, il est à prévoir que la circulation transfrontalière des personnes, des marchandises, des flux financiers et des informations va perdurer, et que la région formera un bloc économique gigantesque. Même si le Japon stagne, il en bénéficiera probablement, au moins car il se trouve dans cette zone clef appelée à avoir une place centrale dans le monde. À l’Archipel désormais de définir son rôle dans cette région.
Le projet des nouvelles Routes de la soie
On ne saurait trop souligner à quel point il est important pour la France et les pays européens de s’assurer une voie vers cette Asie de l’Est en expansion. Dans ce cas, il est impossible d’ignorer le projet du président chinois Xi Jinping concernant les nouvelles Routes de la soie, appelé « Une ceinture, une route » (« One Belt, One Road »). Une route maritime est en train de se développer en même temps qu’une route terrestre grâce à des prêts chinois à long terme, finançant l’aménagement d’infrastructures de grande ampleur par l’expansion de ports existants. Mais cette avancée hégémonique de la Chine suscite, chez les pays avancés comme chez les pays concernés, des inquiétudes quant au retour d’un nouveau colonialisme.
L’aménagement d’infrastructures grâce à l’aide financière de la Chine peut sembler attractif mais ne risquerions-nous pas sa domination impérialiste ? Il appelle toutes sortes de conjectures sur ce qui pourrait se passer si l’empire du Milieu devait un jour se replier sur lui-même : cela risquerait d’interrompre les financements, et de confronter les pays qu’elle a soutenus à des dettes et au marasme. Ici, les affinités de chaque pays, son orientation pro ou anti-chinoise, entrent en jeu avant même un jugement rationnel.
Mais si l’on réfléchit à la signification d’un projet d’une telle ampleur, indépendamment de l’aspect chinois, l’établissement de routes pour la circulation des marchandises peut au moins devenir un atout international si l’Asie de l’Est devient à long terme un pôle de l’économie mondiale. De plus, l’activation des routes maritimes est aussi indispensable du point de vue de la question du changement climatique, que l’UE envisage sous l’aspect du report modal. La rénovation du port de Marseille est pionnière à cet égard. De fait, le Japon, qui est situé sur la route la plus courte entre la Chine et les États-Unis, a connu ces dernières années une augmentation rapide du volume de son transport maritime.
Établir une norme internationale dans les mers de l’Asie
En Asie de l’Est, les risques sécuritaires progressent en même temps que la croissance économique. L’aménagement des infrastructures devra donc aller de pair avec l’établissement d’une norme internationale. Relativement aux questions d’expansion maritime et de territoires disputés, la Chine et les pays voisins vont sans doute ajuster leurs manœuvres encore et encore tout en continuant à se faire face. Il ne faut pas laisser la force l’emporter, mais résoudre les problèmes par des règles partagées, et créer des rapports justes et égaux. Si l’accès libre à ces infrastructures est garanti, un espace fondé sur des relations de confiance et de coopération mutuelle sera créé, ce qui mènera à la prospérité partagée. Elles deviendront un atout à long terme pour la Chine comme pour les autres pays d’Asie, tout comme pour la France.
Aujourd’hui que les États-Unis affirment America First et se lancent dans une guerre commerciale avec la Chine, les normes internationales libérales sont en crise. En Asie de l’Est, le Japon est une des rares nations dont la France et l’Europe peuvent partager les valeurs. Précisément parce que les États-Unis de Trump suscitent des frictions diverses, le Japon devra plus que jamais assumer son rôle de gardien de la liberté et des normes internationales par une coopération étroite avec les pays européens.
Du côté des pays européens, la contribution de la France qui a des points d’appui dans le Pacifique est d’une extrême importance. Si elle devait rechercher une nouvelle identité comme nation du Pacifique, elle pourrait devenir une force leader d’un nouvel ordre mondial encore plus important. À ce moment-là, le Japon sera le meilleur partenaire pour la France.
(Photo de titre : en visite en France pour célébrer le 160e anniversaire des relations d’amitiés franco-japonaises, le prince Naruhito, futur empereur du Japon, est accueilli au château de Versailles par le président Macron, le 12 septembre 2018. Jiji Press)