Japonismes 2018 : le cinéma japonais à l’honneur à Paris
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Le projet "Japonismes 2018", qui a pour but de présenter la culture japonaise en France, a été élaboré suite à un accord passé il y a deux ans entre le Premier ministre japonais Abe Shinzô et l'ancien président français François Hollande. Il a ensuite été repris par l'actuel président Emmanuel Macron pour devenir réalité cette année. Les différents événements de « Japonismes 2018 » sont divisés en quatre catégories (expositions, spectacles, audiovisuel et art de vivre) et ont lieu dans une centaine de lieux, principalement à Paris, jusqu'en mars 2019.
De septembre à mars prochain, la Cinémathèque française et la Maison de la culture du Japon à Paris organisent une grande rétrospective intitulée « 100 ans de cinéma japonais ». Les films seront répartis en trois périodes, de 1920 à nos jours. Afin de marquer l'ouverture de cet événement, la dernière œuvre de la réalisatrice Kawase Naomi, Voyage à Yoshino (titre japonais : Vision) a été projeté en avant-première à la Cinémathèque. Le ministre japonais des Affaires étrangères Kôno Tarô, en remplacement du Premier ministre Abe Shinzô qui a annulé sa visite en France en raison des intempéries meurtrières survenues dans l'ouest du Japon, ainsi que le maire de la ville de Yoshino (préfecture de Nara), Kitaoka Atsushi, ont accompagné Kawase Naomi pour la projection du film à la Cinémathèque.
Un hommage à la nature de Yoshino
L’avant-première de Voyage à Yoshino est précédée par une représentation musicale de yamabushi (ascètes montagnards) soufflant dans des horagai (coquille de triton géant). Les 400 personnes du public sont immédiatement captivées par l'atmosphère mystique produite par la musique. Après la représentation, le prêtre principal Gojô Ryôchi du temple Kinpusen-ji à Yoshino introduit le film, évoquant l'amour et le respect empli de vénération des Japonais pour la nature. Il explique que Vision, qui a pour décor le paysage montagneux de Yoshino, est une représentation de la nature à l’état brut, qui a forgé le cœur du peuple japonais.
Kawase Naomi prend le relais :
« Mes films mettent en scène des personnages qui cohabitent avec la nature, explique-t-elle. Au Japon, beaucoup de personnes ont perdu la vie au cours de désastres naturels encore présents dans nos esprits, comme le Grand tremblement de terre et le tsunami de mars 2011 ou les pluies torrentielles qui frappent l’ouest du pays ces derniers jours. Pourquoi les Japonais continuent de vivre dans des régions si dangereuses ? Je pense que c'est parce nous avons dans nos cœurs la profonde conviction, transmise par nos ancêtres, que notre vie nous est donnée, qu'elle est précieuse et que c'est la nature qui décide de notre sort à tous. Nous acceptons donc de vivre même dans des conditions difficiles. À présent, nous, êtres humains, devons choisir quelle voie emprunter vers l'avenir. C’est sans doute le destin qui m’a amenée à réaliser ce film dans les montagnes de Yoshino. Je ressens une immense gratitude d’avoir eu une telle chance. »
Kawase Naomi a écrit elle-même le scénario de Voyage à Yoshino. Filmé à Yoshino, dans la préfecture de Nara, le film met en scène Juliette Binoche et Nagase Masatoshi. Jeanne (Juliette Binoche) est une écrivain française qui cherche dans la nature de Yoshino une plante médicinale rare, appelée « vision », ne poussant qu'une fois tous les mille ans. Au cours de ce voyage, elle fait la rencontre de Tomo (Nagase Masatoshi), un garde-forestier par qui elle se sent attirée. Alors que l’atmosphère de la montagne se modifie progressivement, tel que prédit par Aki (Natsuki Mari), une vieille femme aveugle et amie de Tomo, ce dernier trouve un jeune homme (Iwata Takanori) gisant inconscient dans la forêt.
Avant la projection du film, Kawase Naomi et Juliette Binoche partagent leur expérience du tournage :
« Quand Juliette est venue pour la première fois à Yoshino, nous sommes passés par un tunnel, dit Kawase Naomi. Et lorsqu’elle a vu les montagnes vertes de Yoshino, elle s'est écriée à plusieurs reprises combien elles étaient belles. Son enthousiasme pour la beauté du paysage nous a permis de créer un film vraiment beau. »
Juliette Binoche répond : « c'est vrai que j'ai été profondément émue par Nara et la forêt de Yoshino. J'ai pu découvrir ce monde, ses coutumes et ses traditions. J'ai été profondément impressionnée par le travail de Naomi et de toute l'équipe. C'est une femme très indépendante qui a sa propre manière de travailler. En particulier, avant que la caméra tourne, il y a un toujours un moment de silence, une sorte de moment sacré. C’est quelque chose dont je me souviendrais longtemps, tout comme la forêt de Yoshino. »
« Je recommande vivement le public français d'aller voir ces montagnes et ces arbres, poursuit-elle. Vous ferez sans doute la rencontre d'arbres centenaires ou millénaires. Je suis sûre que vous tomberez amoureux de cette beauté. »
Comme elle l'explique, Voyage à Yoshino est un film spirituel ; une allégorie empreinte de mystique grâce à une cinématographie inspirée par la beauté et la profondeur de la nature. Une partie du public a probablement été déroutée par l’absence d’explication de certains passages mystérieux, ainsi que par la superposition délibérée de plusieurs personnages. Pour les spectateurs français qui ne connaissent pas les acteurs japonais jouant dans le film, il a peut-être été difficile de distinguer les différents personnages. Mais beaucoup ont au final grandement apprécié l'œuvre, expliquant que l'atmosphère fascinante du film leur avait donné l’impression d’avoir visité la forêt de Yoshino.
Le cinéma japonais et la France
Le terme français de « japonisme » n’est pas nouveau (voir notre article sur le sujet). En effet, la France est un pays qui s'intéresse depuis longtemps à la culture japonaise, et les films japonais ne font pas exception. Un bon exemple en est La Porte de l'enfer de Kinugasa Teinosuke, qui a remporté le Grand Prix du Festival de Cannes en 1954.
En 1963, le fondateur de la Cinémathèque française, Henri Langlois, a organisé l’événement « Chefs-d'œuvre du cinéma japonais » présentant une sélection de 140 œuvres d'Ozu Yasujirô, Mizoguchi Kenji, Naruse Mikio ou encore Kurosawa Akira. Puis une manifestation commémorant le 75e anniversaire du cinéma japonais a été tenue en 1971, suivie en 1984 par une rétrospective monumentale de plus de 500 œuvres japonaises. Plus récemment, le directeur actuel de la Cinémathèque, Frédéric Bonnaud, a déclaré que « pour la Cinémathèque, Japonismes 2018 représente un événement monumental qui fera perdurer cette tradition et renforcera les liens entre le Japon et la France. »
Depuis les années 1990, une nouvelle génération de cinéastes japonais s'est fait connaître du monde entier : Kore-eda Hirokazu, Kurosawa Kiyoshi, Aoyama Shinji et Kawase Naomi entre autres. Parmi ces réalisateurs talentueux, le travail de Kawase Naomi est en particulier apprécié du public français, depuis qu'elle a reçu la Caméra d'or pour son premier long métrage, Suzaku, au Festival de Cannes de 1997. Elle se distingue aussi par le fait qu’elle est l'une des rares femmes cinéastes japonaises dont les films sont projetés à l'étranger.
Voyage à Yoshino (titre japonais : Vision) sort au cinéma le 28 novembre en France. Mais quelques jours plus tôt, à partir du 23 novembre, une rétrospective de toutes les œuvres de Kawase Naomi et du réalisateur espagnol Isaki Lacuesta sera organisée au Centre national d'art et de culture Georges Pompidou à Paris.
(Article écrit à l’origine en japonais du 17 août 2018. Photos : Shimmura Mari. Photo de titre : Juliette Binoche, Kawase Naomi, Kôno Tarô et Frédéric Bonnaud lors de l’ouverture de Japonismes 2018)