L’uniforme scolaire à travers les âges au Japon

Société

Nanba Tomoko [Profil]

L’uniforme scolaire, qui puise ses sources dans l’uniforme militaire pour les garçons et dans le pantalon large plissé traditionnel, le hakama, pour les filles, est aujourd’hui souvent un costume inspiré de l’uniforme des marins ou un ensemble avec un blazer. Mais, quelle que soit son apparence, que représente-t-il pour les Japonais et pourquoi son existence est-il toujours aussi vivace ?

Généralisation, critique et diversification de l’uniforme

Revenir ainsi sur l’histoire de l’uniforme scolaire permet de saisir les enjeux qui ont accompagné son arrivée, une histoire dont les deux facettes, à savoir l’imposition de l’uniforme et sa remise en cause, sont indissociables.

Autour des années 1930, un nombre croissant d’élèves, garçons comme filles, entre au lycée. Parallèlement, avec le développement du prêt à porter, le port de vêtements occidentaux se répand dans les classes populaires. L’uniforme, jusqu’alors réservé à l’élite étudiante et aux jeunes filles qui poursuivaient des études, se généralise. On lui prête aussi une nouvelle vertu : celle de mettre tous les élèves sur un pied d’égalité en gommant les différences de statut social.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’uniforme scolaire traverse une mauvaise passe : les mouvements étudiants de la fin des années 1960 remettent son existence en cause. Vilipendé, il devient le symbole d’un système scolaire rigide et certaines écoles l’abandonnent alors, autorisant les élèves à s’habiller comme ils l’entendent. Mais ce mouvement limité ne dépasse guère le cercle de quelques écoles de Tokyo, sans aboutir à une remise en cause générale du port de l’uniforme scolaire. Dans la seconde moitié des années 1980, certaines écoles abandonnent les classiques, veste à col droit pour les garçons et costume marin pour les filles, au profit du blazer. C’est le début d’une diversification stylistique croissante, qui redore le blason de l’uniforme scolaire et lui donne un second souffle.

Souvenir de sa jeunesse

Alors pourquoi, malgré les critiques, l’uniforme n’a-t-il pas disparu ? Pourquoi est-il toujours porté aujourd’hui, bien qu’il soit régi par de nombreuses règles et qu’il représente un coût non négligeable ?

En demandant aux Japonais ce qu’ils pensent de l’uniforme scolaire, un aspect intéressant fait surface : leur attachement à ce vêtement ne se limite pas au temps où ils le portaient. Il constitue un lien fort entre membres d’une même communauté, et certains par exemple n’hésitent pas à discuter avec les jeunes gens qui portent aujourd’hui le même uniforme qu’eux, tandis que d’autres s’opposent vivement à toute modification de celui de leur ancienne école. Beaucoup d’adultes entretiennent une relation particulière avec ce symbole de leurs années de lycée. Ce lien puissant assure en quelque sorte la survie de l’uniforme scolaire, nourri de souvenirs qui l’embellissent et empreint d’une certaine nostalgie. Peut-être l’uniforme est-il un vecteur qui rattache une personne à ses jeunes années, à ce qu’elle était autrefois.

Bien entendu, tous les Japonais ne sont pas favorables au port de l’uniforme scolaire. Certains ont souffert et d’autres souffrent aujourd’hui de se voir imposer un code vestimentaire. L’effacement de la personnalité induit par l’uniforme, son poids financier, son adaptation aux personnes LGBT, entre autres, sont autant de points qui posent problème. Mais dans le même temps, au printemps, devant ces jeunes gens vêtus de leur uniforme tout neuf, on ne peut s’empêcher de célébrer leur jeunesse et l’avenir qui s’ouvre à eux. Cette ambivalence, en soi, prouve la complexité de la culture qui s’est développée autour de l’uniforme scolaire. Ce vêtement a ses bons et ses mauvais côtés, ses partisans et ses détracteurs ; quant à savoir pourquoi il est toujours à la page, c’est une question à laquelle n’existe aucune réponse simple.

(Photo de titre : Aflo)

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Nanba TomokoArticles de l'auteur

Professeur assistant en sciences humaines à l’Université pour femmes d'Ochanomizu. Née en 1980 à Okayama, diplômée d’un troisième cycle puis d’un doctorat en sciences de la même université. Nommée maître de conférences en 2012, professeur assistant depuis 2017. Auteur de « Histoire culturelle de l’uniforme scolaire : l’évolution de l’uniforme féminin dans l’histoire du Japon moderne » (Sôgensha, 2012) et de « Encyclopédie des uniformes scolaires du Japon moderne » (Sôgensha, 2016), entre autres.

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