Quelle est la religion de l’empereur ?

Société

Shimada Hiromi [Profil]

Que reste-t-il des liens extrêmement profonds qu’entretenaient les empereurs d’autrefois avec les religions ? Si les actions de l’empereur se traduisent par des visites dans les lieux frappés par des désastres naturels, et par des voyages commémoratifs, quelle est la foi qui étaye ces initiatives ?

Les actions de l’empereur, un altruisme bouddhique ?

Pour certains observateurs, le rôle de l’empereur se limite à la réalisation de ces cérémonies, et il n’a aucun autre devoir à remplir.

Mais les empereurs successifs de l’époque contemporaine ne se sont pas limités à cela. Si l’empereur Taishô n’a pas pu être très actif en raison de ses problèmes de santé, les autres empereurs ont effectué beaucoup de déplacements, et dans l’après-guerre, l’empereur Hirohito a cherché activement à avoir des contacts avec le peuple. L’empereur Ahikhito (le père du souverain actuel) s’est souvent rendu sur les lieux frappés par des catastrophes et sur ceux où sont commémorés les victimes de la guerre.

Si les empereurs ont rempli leur fonction de souverain impérial sous la Constitution de Meiji, ceux d’après-guerre ont assuré les diverses fonctions que leur donnait la Constitution actuelle. Elle leur confère aussi le rôle de symbole de l’État et de l’unité du peuple, sans préciser concrètement ce que ce rôle implique.

Dans le message qu’il avait adressé à la nation au sujet de son désir d’abdiquer en août 2016, l’empereur Akihito avait déclaré qu’il n’avait cessé de chercher le véritable rôle qu’il devait accomplir en tant que symbole. Il a en effet dû le faire lui-même puisque la Constitution n’offre aucun détail à ce sujet. Dans le même message, il mentionnait que ce rôle se traduisait pour lui notamment à se rendre partout dans tout le pays, et particulièrement dans les lieux éloignés.

Je me suis fait la réflexion, en écoutant ce message, que les initiatives de l’empereur en tant que symbole correspondaient peut-être au « chemin du Bodhisattva » ou à « l’altruisme bouddhiste ». Dans les deux cas, il s’agit de sacrifier le soi pour effectuer des actions destinées à sauver les autres.

L’empereur et l’impératrice se sont rendus dans des zones affectées par des catastrophes à des moments où elles étaient encore dangereuses, et sont aussi allés sur des lieux de batailles de la Seconde Guerre mondiale situés dans des endroits où ils n’étaient pas toujours bien accueillis. Il leur est arrivé d’être accueillis par des opposants munis de cocktails Molotov. Si l’empereur et l’impératrice ont continué à le faire malgré leur âge avancé, ce ne peut être qu’en raison de leur forte conviction que cela est juste.

Dans le monde du shintô, rien n’appelle les croyants à se sacrifier pour sauver les autres, mais l’inverse est vrai dans le bouddhisme, et cela depuis la naissance de cette religion. Dans le sûtra du Lotus, qui joue un rôle de première importance dans le bouddhisme japonais, figure l’expression fushaku shinmyô, signifiant qu’il ne faut reculer devant aucun sacrifice pour sauver les autres.

De nos jours, l’empereur n’a aucun pouvoir sur l’exécutif. Mais parce qu’il est le symbole de l’État, il estime qu’il faut que ses actions soient soutenues. C’est là qu’intervient le rôle de la foi. Il est naturel que l’empereur la recherche dans le bouddhisme car cette religion a depuis toujours eu des rapports étroits avec les empereurs.

(Article mis à jour en février 2021. Photo de titre : le 1er octobre 2015, l’empereur Akihito et l’impératrice Michiko, aujourd’hui retirés, visitent Misaka-machi dans la préfecture d’Ibaraki ravagée par le débordement du fleuve Kinugawa. Jiji Press)

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Shimada HiromiArticles de l'auteur

Spécialiste des études religieuses, écrivain, il obtient son doctorat en sciences humaines (sciences des religions) à l’Université de Tokyo en 1984. Professeur adjoint à l’Institut national de l’enseignement multimédia, professeur à l’Université féminine du Japon, chercheur invité à l'Institut de recherche sur les sciences et technologies avancées de l’Université de Tokyo. Auteur de nombreux ouvrages dont Sôka Gakkai (éd. Shinchôsha, 2004), Nihon no 10 dai shin shûkyô (Les 10 principales nouvelles religions du Japon, éd. Gentôsha, 2007), Sôshiki wa iranai (Les funérailles sont inutiles, éd. Gentôsha, 2010), Tennô wa imademo bukkyôto de aru (L’Empereur est encore bouddhiste aujourd’hui, éd. Sanga, 2017).

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