Mishima Yukio : un écrivain imbu de sa propre personne

Culture

Le 25 novembre 1970, le suicide rituel du célèbre écrivain Mishima Yukio a soulevé une onde de choc au Japon. Damian Flanagan soutient que ce suicide ne peut être réduit à un appel aux armes ou au dernier geste d’un fou, et qu’il apporte en vérité un éclairage intéressant sur l’œuvre littéraire de Mishima et les objectifs ultimes de sa démarche artistique.

La connexion Mishima-Wilde

C’est Oscar Wilde lui-même qui a confié au jeune artiste Aubrey Beardsley le soin de créer les images destinées à illustrer la première édition de sa pièce en langue anglaise.

Il se trouve non seulement que Mishima Yukio a nourri toute sa vie une véritable dévotion pour Oscar Wilde (1854-1900), mais aussi que le dramaturge irlandais a joué un rôle déterminant dans le suicide de 1970. L’obsession de Mishima pour la pièce Salomé, écrite par Wilde en 1891 – qui donne de la décapitation de Jean-Baptiste à la demande de Salomé, la belle-fille du roi Hérode, un récit séduisant empreint d’érotisme sadomasochiste –, jette sur l’intégralité de l’affaire Mishima un jour entièrement nouveau.

La première rencontre de Mishima avec Oscar Wilde, et plus précisément avec la version anglaise de sa pièce Salomé publiée en 1894 et illustrée par Aubrey Beardsley, remonte à son enfance. Il se souviendrait plus tard de l’impact énorme que cette rencontre avait eu sur son imagination.

« J’avais probablement onze ou douze ans quand je suis tombé sur une édition en livre de poche du Salomé de Wilde publiée par Iwanami. Les illustrations de Beardsley exerçaient sur moi un attrait intense. Je l’ai emmenée à la maison et, en la lisant, j’ai eu l’impression d’avoir été frappé par la foudre... Les chaînes du mal avaient été brisées ; la sensualité et la beauté avaient été libérées ; il n’y avait plus trace de moralisation. »

Par la suite, Mishima eut l’occasion d’assister à une représentation du Salomé de Richard Strauss au Metropolitan Opera House de New York, lors de son premier voyage en Amérique, en 1952.

Outre qu’il était un remarquable romancier et auteur de nouvelles, Mishima était aussi un dramaturge prolifique, qui a laissé plus de 80 pièces de théâtre couvrant tout un éventail de genres allant du théâtre occidental au nô et au kabuki. Il a également été un adaptateur et un metteur en scène, et il lui est même arrivé de faire des apparitions en tant qu’acteur dans certaines pièces. Ce qui ne l’a pas empêché de déclarer en 1960, quand il réalisa son rêve de toute une vie en mettant en scène la pièce emblématique de Wilde à Tokyo : « Il y a vingt ans que je rêve de mettre en scène Salomé. J’exagérerais à peine en disant que je me suis mis au théâtre dans l’unique espoir de diriger un jour Salomé. »

Juste avant l’affaire Mishima, l’écrivain préparait une autre production de Salomé, qui devait être donnée à Tokyo au printemps 1971. Lorsque la pièce fut jouée, quand Salomé brandissait la tête coupée de Jean-Baptiste et l’embrassait, les spectateurs ne pouvaient pas manquer de tracer un lien entre cet épisode et l’affaire qui avait secoué le Japon quelques mois auparavant.

Les yeux étaient terriblement sérieux, mais la bouche retentissait d’un rire tonitruant. C’est un trait saillant de Mishima, présent tout au long de sa vie, qu’il souhaitait incarner dans sa personne et dans ses actes les stimuli visuels – depuis le martyre de Saint Sébastien jusqu’à la mort des samouraïs par seppuku – qui avaient captivé son imagination lorsqu’il était enfant. Mais peut-être qu’aucune image ne lui était plus chère que la tête coupée de Jean-Baptiste qui illustrait le Salomé d’Oscar Wilde.

On peut certes considérer que l’image de la tête tranchée de Mishima gisant sur le tapis illustre la conclusion consternante de son appel à la réforme de la Constitution ou de son désir de mourir en samouraï, mais on peut aussi penser qu’elle représente la réalisation de l’objectif ultime de toute sa vie, le moment de sa propre transformation, celui où, frappé par le tranchant de l’épée de son amant, il est vraiment devenu Jean-Baptiste.

Ce n’est pas drôle, diront la plupart des gens ; c’est profondément dérangeant. Mais ce geste, profondément influencé par son amour pour Oscar Wilde, fut l’ultime plaisanterie de Mishima sur la vie et le pouvoir de l’imagination, une représentation, sur le mode de la comédie, de l’importance que Mishima Yukio attachait à sa propre personne.

(D’après un texte original en anglais du 24 novembre 2017. Photo de titre : Mishima Yukio prononce un discours depuis le balcon du quartier général du Corps de l’Est des Forces terrestres d’autodéfense à Ichigaya, Tokyo, avant de se suicider, le 25 novembre 1970. © Jiji)

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