L’isolement social au Japon

Hikikomori : témoignage d’un psychiatre qui les a suivis

Société

Sekiguchi Hiroshi [Profil]

Le terme hikikomori, qui désigne les personnes s’enfermant dans un isolement prolongé au Japon, est largement usité depuis près de vingt ans. Mais la réalité de ces gens qui fuient la société n’est pas encore bien connue. Un psychiatre qui les accompagne eux et leurs familles depuis de longues années nous aide à comprendre ce phénomène.

Travailler est un devoir impossible

La question que les hikikomori redoutent le plus est : « Qu’est-ce que tu fais en ce moment ? » Un patient m’a dit qu’elle lui faisait tellement peur qu’il cherchait à fuir la réponse par tous les moyens. Alors plutôt que de se soumettre au jugement des autres, ils préfèrent cesser le contact avec les amis, les connaissances et personnes extérieures.

Cependant, environ 60 % d’entre eux disent qu’ils ont eu un travail auparavant. Certains ont eu des horaires de travail dépassant la normale (jusqu’à 200 heures supplémentaires par mois), et beaucoup ont été victimes de harcèlement répété de la part de leurs supérieurs. Le travail est alors devenu synonyme de panique, et le rejet est total.

Comme je l’ai expliqué en définissant les hikikomori, il ne s’agit pas de maladie mentale. N’étant pas malades, nous n’avons pas de traitement médical à leur proposer, et la seule chose que nous pouvons faire est de veiller sur eux. Ce ne sont pas des gens qui ne travaillent pas, mais des gens qui ne peuvent pas travailler ou qui sont devenus incapables de le faire. On les considère généralement comme des personnalités faibles. Mais avoir tel ou tel caractère n’est pas la question. Il serait plutôt nécessaire d’analyser le phénomène sous un angle lié à leur vie professionnelle : comme je l’ai déjà signalé, les hikikomori savent qu’ils doivent travailler, mais en sont juste incapables.

Photo du numéro de novembre du mensuel Hikikomori Shimbun (Le Journal des Hikikomori), rédigé par des hikikomori et par leurs proches. On y trouve des interviews, des éditoriaux, et des informations sur les associations d’entraide et de conseils.

Savoir remonter la pente

Comment venir au secours de ceux qui sont dans les conditions les plus graves ? Certaines tentatives ont été faites en utilisant la contrainte pour les faire sortir de leur retrait, mais cela ne se passe pas bien. Depuis quelques années cependant, de nouvelles organisations émergent à l’initiative des parties impliquées. Elles leur permettent de s’entraider grâce à des réseaux et toutes sortes d’activités. La publication du journal Hikikomori Shimbun en fait partie, tout comme des rencontres destinées aux hikikomori organisées par les parties concernées, en solidarité avec des psychologues et des psychiatres. Soulignons d’ailleurs que lorsque leurs parents consultent des psychologues, cela influence de manière positive la dynamique interne à la famille. C’est une démarche qui prend du temps mais la seule chose à faire est probablement de créer des opportunités pour relier les hikikomori à la société, améliorer petit à petit la manière dont ils sont perçus, et développer ainsi un environnement qui les accepte.

Il faudrait retenir une chose essentielle : les hikikomori souhaitent réellement établir des liens avec la société. Mais ils n’y parviennent pas. Ainsi, leur retrait est-il leur seule stratégie pour continuer à vivre un minimum en son sein..., la toute dernière option qu’il leur reste afin de conserver leur dignité d’être humain.

(Photo de titre : Ishizaki Morito, un ancien hikikomori qui travaille actuellement dans la société familiale où il est chargé de l’informatique, du marketing et du recrutement des nouveaux diplômés. Il fait aussi partie de la rédaction du journal Hikikomori Shimbun.)

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Sekiguchi HiroshiArticles de l'auteur

Né à Yokohama en 1957, psychiatre, diplômé de la faculté de médecine de Saga, il dirige la Bunko Kokoro no Clinique, et il est l’auteur de Hikikimori to Futôkô (Hikikomori et refus scolaire) aux éditions Kôdansha + α shinsho.

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