
Hikikomori : témoignage d’un psychiatre qui les a suivis
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Un grand nombre de jeunes Japonais coupent aujourd’hui l’un après l’autre les liens qui les relient à la société. Le réel de ces personnes appelées hikikomori est encore mal perçue actuellement. Chacun d’entre eux a une manière unique de concevoir son quotidien, pour des raisons et des parcours qui leur sont aussi propres. Le phénomène de hikikomori est généralement défini de la manière suivante :
1) Il s’agit de personnes qui ne travaillent pas et ne font pas d’études.
2) Elles ne sont pas atteintes de maladie mentale.
3) Elles vivent enfermées chez elles depuis plus de six mois sans avoir de contacts avec des personnes extérieures à leurs familles.
La dernière partie de la définition est la plus importante. Bien qu’elles habitent au cœur des villes, ces personnes n’ont aucun contact avec la société. Elles sont isolées et n’ont pas d’amis.
Selon certaines estimations, ce phénomène toucherait un million de personnes au Japon. Si l’on ajoute à ce chiffre les deux millions constitués par leurs parents, il toucherait donc de près ou de loin 3 % des Japonais âgés de 20 ans et plus. C’est un nombre considérable, qui devrait être perçu comme posant un grave problème à la société... Pourtant, il n’attire que peu d’intérêt.
Beaucoup de Japonais voient les hikikomori comme des paresseux et des profiteurs qui se laissent entretenir par leurs parents sans travailler. Je tiens à souligner que personne ne devient hikikomori pour le plaisir. S’ils étaient paresseux ou profiteurs, ils ne souffriraient pas comme ils le font.
« Honte » et « conflit »
« Honte » et « conflit » sont les deux mots clés pour comprendre les hikikomori. Ces derniers ont intensément honte de ne pas pouvoir travailler comme leurs semblables. Ils se considèrent comme des rebuts de la société, et vont même jusqu’à penser qu’ils n’auront jamais le droit d’être heureux. Presque tous s’en veulent de ce qu’ils infligent à leurs parents, dont ils estiment avoir trahi les attentes.
Le conflit des hikikomori est un conflit intérieur : incapables de participer à la société, ils se reprochent de ne pas le faire. Beaucoup d’entre eux disent qu’ils aimeraient disparaître et préféreraient ne pas être nés. Certains souffrent tellement que la fatigue les rend incapables de se lever. Ce conflit les tourmente pendant des années, parfois même plusieurs dizaines d’années.
Les personnes les plus atteintes ne sortent pas de leur chambre sauf pour aller aux toilettes ou prendre une douche. Ils mangent en se servant dans le réfrigérateur la nuit quand leur famille dort. Bien que vivant sous le même toit, ils craignent au plus haut point tout contact avec elle, et ne leur parlent pas. Une mère dont le fils est devenu hikikomori à l’âge de douze ans m’a dit qu’elle ne connaît même pas le son qu’a pris la voix de son fils après la mue, la communication entre eux ayant été totalement coupée.
Ces personnes ont toujours leurs volets et leurs rideaux fermés afin de faire disparaître toute trace de leur présence. Leur désir de ne faire aucun bruit les conduit à utiliser des écouteurs pour regarder la télévision ou leur ordinateur, et à marcher silencieusement. Certaines d’entre elles ne mettent pas le chauffage en hiver ni l’air conditionné en été. Pourquoi donc ? Tout simplement parce qu’elles ne veulent pas que leur famille ou les voisins remarquent leur présence ou leurs gestes, et même plus encore, elles pensent qu’ils n’ont pas le droit de se servir de ces appareils. J’aimerais que ceux qui affirment que les personnes dans de telles conditions sont des profiteurs et des paresseux fassent d’abord l’effort de les comprendre.