L’élection d’Emmanuel Macron : quelles conséquences pour la diplomatie japonaise ?
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Le soutien ou le rejet de l’Union européenne (UE), et non la traditionnelle confrontation entre la droite et la gauche, a été l’enjeu essentiel des récentes élections présidentielles françaises. Ou, pour dire les choses d’une autre manière, elles ont consisté en un affrontement entre les partisans d’un retour à une société fermée, et ceux qui aspirent à une société ouverte, vers laquelle se dirige aujourd’hui la communauté internationale, celle de la mondialisation et de l’interdépendance. Le Front national, un parti qui se dit favorable à cette société fermée tout en s’affirmant anti-système et opposé aux élites, a été battu, mais il a recueilli le plus fort soutien de son histoire dans une élection présidentielle.
La feuille de route de Emmanuel Macron est claire : il lui faudra progresser vers cette société ouverte en éliminant au passage sa couleur élitiste, afin de détruire et pour mieux reconstruire le système. Mais cette politique du juste milieu devra prendre garde à ne pas tomber dans la médiocrité.
La réaction du Japon à cette élection présidentielle
Les principaux quotidiens japonais ont publié des éditoriaux favorables à la victoire de M. Macron.
Pour le Nihon Keizai Shimbun, « ces élections qui ont placé l’UE au cœur de l’enjeu ont montré que les Français vont majoritairement dans le sens du maintien de leur pays dans l’UE. »
Pour le Mainichi Shimbun, « les Français ont choisi une France ouverte et favorable à l’intégration européenne, et cela alors que l’on assiste sur le plan mondial à un mouvement qui accorde la priorité à l’intérêt national, comme l’ont montré le vote britannique pour le Brexit et l’élection du président Trump aux USA. »
Le Yomiuri Shimbun considère que « cette élection a stoppé l’engrenage qui conduit à la désintégration européenne et la montée du populisme. »
D’autres observateurs japonais, dont l’Asahi Shimbun, estiment qu’il ne fait aucun doute que beaucoup d’électeurs ont voté par élimination et non par adhésion, et sont préoccupés par la suite, et plus précisément par les élections législatives de juin. En effet, elles montreront jusqu’à quel point les Français soutiennent le nouveau président.
Le Premier ministre japonais Abe Shinzô s’est entretenu par téléphone avec M. Macron le 9 mai, et les deux hommes ont convenu de rechercher ensemble des accords-cadres de partenariat économique entre le Japon et l’UE, et de renforcer, sur le plan sécuritaire, leur coopération pour la paix et la stabilité de la zone Asie-Pacifique, y compris vis-à-vis de la Corée du Nord.
Sur le plan diplomatique, il n’y aura probablement pas de grands changements par rapport à l’ère Hollande : la France continuera à accorder la priorité à l’UE et à mettre l’accent sur la coopération internationale avec pour axe les Nations unies. Le Japon devra être particulièrement attentif à la manière dont le gouvernement de M. Macron traitera du Brexit, de la question des réfugiés et des migrants, ainsi que du terrorisme.
Une position ferme vis-à-vis du Brexit serait néfaste aux entreprises japonaises
Le nouveau président français fera probablement tout pour éviter que le Brexit n’affaiblisse l’UE. La France et l’Allemagne étant les deux piliers de l’Europe, il a aussi l’intention de renforcer sa solidarité avec la chancelière allemande, Mme Merkel. Vis-à-vis de la Grande-Bretagne, M. Macron considère qu’une fois partie de l’UE, elle ne pourra plus participer au marché unique européen qui élimine les droits de douane. Il n’est pas impossible qu’il veuille se montrer ferme avec les Britanniques afin d’éviter que l’exemple du Brexit ne soit suivi par d’autres pays de l’UE.
Un tel raidissement de la position française ne serait pas sans conséquence sur les nombreuses entreprises japonaises qui ont des filiales en Grande-Bretagne. Le Japon devra probablement chercher, tout en soutenant M. Macron, à le dissuader de mener une politique trop sévère vis-à-vis de la Grande-Bretagne.
Quelle attitude aura M. Macron face aux opposants à l’immigration ?
Étant donné la progression du Front national, il ne sera pas facile à la France de chercher à être une société entièrement ouverte. M. Macron devra probablement prendre des mesures pour atténuer dans la mesure du possible l’hostilité qui existe face aux immigrants. Il devra choisir entre un renforcement des contrôles aux frontières, ou des mesures pour consolider l’intégration des migrants et des réfugiés en France, ou peut-être un équilibre entre ces deux options.
Un renforcement excessif des contrôles aux frontières serait incompatible avec la politique européenne impulsée par l’Allemagne en ce domaine, et apporterait un soutien aux mesures souhaitées par de nombreux pays de l’est de l’Europe, notamment par la Hongrie. Ce genre de mesures ne sont pas non plus recommandables, car elles conduiraient à moyen terme à une diminution du soft power européen.
L’intégration des migrants et des réfugiés peut réussir jusqu’à un certain point si elle passe par un renforcement de l’enseignement du français, de l’éducation civique et de la formation professionnelle. M. Macron a d’ailleurs promis pendant sa campagne qu’il œuvrerait à faire comprendre que l’immigration est une chance pour la France car elle lui garantit l’accès au capital humain dont elle a besoin.
Mais une telle politique d’intégration, orientée vers la promotion et le renforcement de l’intégration, ne portera pas ses fruits immédiatement. En attendant, il sera crucial de satisfaire la population par d’autres moyens. Il est à souhaiter que la diplomatie japonaise fasse des efforts pour que la France n’opte pas pour un renforcement des contrôles aux frontières, afin d’éviter l’affaiblissement de l’UE et la stagnation de ses relations avec le Japon. Mais il faudra pour cela que celui-ci révise sa politique à l’égard des étrangers, aujourd’hui critiquée par la communauté internationale comme étant excessivement fermée, et qu’il montre qu’il est aussi favorable à une société ouverte.
Une coopération franco-japonaise pour lutter contre le terrorisme
Dans le domaine de la lutte contre le terrorisme, M. Macron conservera peut-être la même fermeté quee François Hollande, étant donné qu’il souhaite ouvertement le départ du président Assad en Syrie. Mais il a aussi indiqué qu’il n’était pas favorable aux interventions à l’étranger sans perspectives de solutions politiques, et d’après certains observateurs, il serait plus réticent face aux initiatives militaires. S’il poursuit la ligne dure de son prédécesseur, cela ne pourra qu’entraîner de nouveaux actes terroristes en France.
Pour ce qui est de la sécurité, il a indiqué son intention de renforcer les effectifs de la police et de crée une police de sécurité quotidienne. Sur ce point en particulier, le Japon pourrait coopérer avec la France grâce à son expérience en ce domaine, à travers le système des postes de polices kôban. Le Japon pour sa part a aussi intérêt à renforcer ses échanges avec la France, pour se préparer à la menace terroriste.
Mais en même temps, se lancer à corps perdu dans des mesures contre le terrorisme en renforçant l’armée et la police ne pourra qu’engendrer une réaction violente. Il est aussi à craindre que cela nuise à l’image d’une société ouverte et fasse décliner le potentiel du soft power. Le Japon a autant intérêt à être en Asie le porte-drapeau de la société ouverte que la France doit l’être en Europe. Une collaboration centrée sur ces points est probablement indispensable.
Pour un renforcement de la diplomatie culturelle
Renforcer la coopération culturelle est aussi essentiel. Après la fin de la guerre froide, beaucoup de pays ont pris conscience que la puissance militaire ou économique ne réglait pas tout, et que le soft power porté par l’attrait culturel était d’une grande importance. La France et son attachement très particulier à la culture a développé une diplomatie culturelle originale.
Mais si M. Macron poursuit une politique de rationalisation des institutions culturelles françaises consistant exclusivement à les réduire, il est à craindre que cela conduise à un recul de la présence française au Japon. Le Japon promeut jusqu’à un certain degré l’envoi de jeunes à l’étranger dans le cadre de sa stratégie globale, mais cela ne produit pas nécessairement de résultats. Dans ce contexte, si la France, une des plus importantes destinations d’études non-anglophones, attire moins de jeunes, cela serait une mauvaise chose pour les deux pays.
Les échanges culturels franco-japonais ont connu depuis la fin des années 1990 une croissance rapide, et se sont approfondis grâce à diverses manifestations culturelles. Le Japon doit avoir pour stratégie de promouvoir la compréhension mutuelle grâce à la synergie et aux échanges culturels avec la France, et prendre des initiatives solidaires qui conduiront à renforcer sa présence dans la communauté internationale.
(D’après un original en japonais rédigé le 9 mai 2017. Photo de titre : Emmanuel Macron et son épouse Brigitte devant la pyramide du Louvre après sa victoire à l’élection présidentielle le 7 mai 2017 à Paris)