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Ninoshima : une île refuge

Culture Tourisme

Les fleurs de l’espoir

La date de la cérémonie officielle célébrée au Mémorial de la paix de Hiroshima est le 6 août, mais Ninoshima a sa propre cérémonie deux jours plus tôt. On me dit qu’elle est beaucoup plus modeste, une version villageoise en quelque sorte, mais aussi intime que soit ce rassemblement, je n’en suis pas moins impatiente d’y participer.

Je passe la nuit à la maison de retraite tenue par mes parents et me lève tôt le matin du 4 août.

Le soleil est déjà levé et l’on sent la chaleur et l’humidité monter du sol. Je me promène et prends des photos. J’observe un ver de terre aussi long que ma chaussure et deux hommes en train de jouer au gateball, un jeu qui ressemble au cricket et jouit d’une grande popularité chez les Japonais âgés, dans un champ situé à proximité des courts de tennis de l’île. Pour finir, je me dirige vers la côte. Je suis en train de marcher sur une route de campagne déserte, quand le chant des cigales est soudain brisé par le pouf-pouf d’un scooter.

Une femme âgée, enveloppée de tissus et coiffée d’un chapeau pour se protéger de l’ardeur du soleil, gare son scooter à proximité d’un jardin situé de l’autre côté de la tente dressée pour la cérémonie commémorative. Elle se dirige vers un abri de jardin tandis que j’entre sans me presser dans le jardin, en contrebas d’une pente.

Une pancarte rappelle que le champ est un Irei no hiroba, ou lieu dédié à la consolation des morts, et nous informe que les parterres de fleurs représentent les six rivières de Hiroshima.

Pancarte donnant des explications sur la zone commémorative où les restes de nombreuses victimes de la bombe atomique ont été retrouvées.

Exhumation des dépouilles en 2004 (à gauche) et ossements exhumés. Les dépouilles sont aujourd’hui enchâssées au parc du Mémorial de la paix de Hiroshima. (Photos avec l’aimable autorisation de Miyazaki Kazuo)

Alors que je suis en train d’examiner les tiges d’une variété de tournesols, la femme au scooter me dit en japonais : « C’est moi qui ai eu l’idée de les mettre là. » Un tuyau d’arrosage à la main, elle m’explique qu’elle n’est pas de l’île, mais qu’elle y a emménagé il y a une vingtaine d’années avec son mari. Dans un entourage envahi par la tristesse, les épreuves et l’horreur de la guerre, elle a voulu planter des fleurs.

Elle me fait signe d’entrer dans l’abri. À côté des taille-haie, des photos en noir et blanc sont accrochées aux parois en bois. Pour moi qui écris des romans policiers et ai fait connaissance avec l’héritage de Hiroshima à l’âge de 14 ans, ces images ne sont pas à proprement parler choquantes, mais leur présence en ce lieu idyllique semble déplacée. On y voit des empilements de crânes noircis et d’ossements humains mesurés et identifiés. C’est presque plus qu’on en peut supporter en cette journée de plus en plus chaude.

Peu à peu, des personnes vêtues de noir commencent à occuper les chaises pliantes disposées sous la tente blanche. La seule touche de couleur apportée aux cérémonies provient d’un alignement de décorations jaune vif et dorées, qui constituent, je l’apprendrai plus tard, une offrande typique pendant la période de O-bon à Hiroshima.

Décorations traditionnelles de O-bon à Hiroshima.

Des écoliers locaux assistent à la cérémonie commémorative.

Je m’assois sous la tente, sans doute là encore l’un des rares nouveaux venus et l’unique étranger ici présent. Des enfants de l’école primaire voisine, en vacances mais néanmoins revêtus pour l’occasion de leur uniforme, remplissent les rangs du fond. Des prêtres bouddhistes chantent et l’un d’entre eux prononce une allocution où il fait référence à sa propre grand-mère, une hibakusha (personne ayant survécu à la bombe atomique) et à la visite effectuée au début de l’année par le président des États-Unis Barack Obama au Mémorial de la paix. De l’encens est offert et la cérémonie prend fin au bout de 45 minutes.

Le Inochi no tô (monument à la Vie) situé sur la colline qui surplombe le Ninoshima Gakuen.

C’est là que je rencontre Miyazaki, qui me raconte l’histoire de l’île. Nous nous rendons ensuite au Ninoshima Gakuen, qui n’est plus un orphelinat traditionnel, mais plutôt un lieu pour les enfants qui ne sont pas en mesure de vivre à la maison avec leurs parents. Un administrateur m’explique le travail que les conseillers font avec les enfants pour les amener à formuler leurs émotions et leurs sentiments – une pratique qui n’est guère encouragée au Japon, tout du moins dans le milieu de l’éducation.

Miyazaki m’emmène jusqu’à l’emplacement d’une statue, en haut de la colline qui surplombe le Ninoshima Gakuen. De loin, on aurait dit un enfant flottant au milieu des vertes frondaisons, mais je constate maintenant que c’est la statue d’un bouddhiste, portant l’inscription Inochi no tô (monument à la Vie). Elle a été érigée en 1971, à l’occasion du 25e anniversaire du centre d’accueil pour enfants. À l’arrière, une petite voûte abrite les cendres des personnes qui ont travaillé au centre et de quelques-uns de ses hôtes.

Le ferry, plus petit, qui va me ramener à la ville de Hiroshima doit aborder d’un moment à l’autre au quai du Gakuen, et il est temps de redescendre la colline. Alors que nous nous frayons un chemin au travers d’une foule d’enfants qui se dirigent vers leur terrain de jeu, je me prends à souhaiter que Ninoshima soit pour eux le lieu où s’opérera leur mutation, où leur sera offerte une seconde chance. Même si l’on continue d’y exhumer les ossements du passé, j’espère que l’île n’est pas sous l’emprise du sortilège de la destruction, mais qu’elle se trouve être un havre de vie – un sol fertile pour les plantes sauvages comme pour les fleurs de l’espoir semées par ses habitants.

(Photo de titre avec l’aimable autorisation de Miyazaki Kazuo)

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