Opdivo, une molécule d’immunothérapie contre le cancer

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Un traitement mis au point conjointement par des chercheurs américains et japonais

En l’an 2000, les recherches menées conjointement par l’Université de Kyoto au Japon et le Genetics Institute aux États-Unis ont permis la découverte de deux protéines appelées ligands de protéine de mort cellulaire programmée (PD-L1 et PD-L2), qui s’associent de façon spécifique à la molécule PD-1 (programmed cell death 1). Quand la protéine PD-L1 est présente à la surface d’une cellule cancéreuse et qu’elle se lie au récepteur PD-1 à la surface d’une cellule immunitaire, elle prend le contrôle de cette dernière en la verrouillant et en l’empêchant de s’attaquer aux cellules cancéreuses (voir figure 1, A). Pour se protéger, les tumeurs activent les molécules qui font office de points de contrôle (immune checkpoints) et stoppent l’activation des lymphocytes. Elles leurrent ainsi les cellules immunitaires, qui cessent leur travail de défense. Le recours à un anticorps anti PD-1 permet de « lever le frein » de la réponse immunitaire et de rendre aux lymphocytes leur capacité à combattre le cancer (voir figure 1, B).

Le laboratoire Honjo a effectué des tests sur des animaux et publié en 2002 des résultats qui prouvaient l’exactitude des hypothèses qu’il avait émises, l’administration d’anticorps anti PD-1 à des souris ayant considérablement renforcé leur résistance au cancer. Ses recherches ont également permis de récolter de nombreuses données sur le rôle des anticorps contre la prolifération du cancer par les métastases.

Dans le même temps, les chercheurs de l’équipe Honjo ont essayé de trouver des applications à leurs découvertes. Mais à l’époque, l’Université de Kyoto n’avait guère de compétences en matière de dépôt de brevet. Honjo Tasuku a donc fait appel aux laboratoires pharmaceutiques Ono qu’il connaissait bien par le biais du professeur d’université qui avait été son maître, en leur demandant de s’associer avec lui. C’est ainsi qu’en 2002, Honjo et Ono Pharmaceutical ont déposé une demande provisoire conjointe de brevet en vue d’une immunothérapie basée sur la molécule PD-1.

Honjo Tasuku était convaincu que les anticorps anti-PD-1 pouvaient être utilisés pour traiter les cancers. Il a donc proposé son idée à de nombreux laboratoires pharmaceutiques japonais. Au début, il a été plutôt mal accueilli en raison du scepticisme que ce secteur – y compris Ono Pharmaceutical – affichait alors vis-à-vis du traitement du cancer par l’immunothérapie. N’ayant obtenu aucune réponse favorable, il s’est tourné vers l’étranger où son projet a été retenu par une startup américaine enthousiaste. Mais quand Honjo Tasuku leur a fait part de sa décision, les laboratoires Ono ont brusquement changé d’attitude et accepté sa proposition. Ce revirement inattendu s’expliquerait aussi par le fait que la firme américaine Medarex, qui était spécialisée dans les produits pharmaceutiques et possédait les brevets et les techniques de fabrication des anticorps humains, a contacté Ono Pharmaceutical en vue de recherches d’applications cliniques pour les anticorps anti-PD-1.

En 2006, l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) a approuvé l’utilisation de l’anticorps humain anti-PD-1 nivolumab en tant que nouveau traitement expérimental. Les essais cliniques ont commencé cette même année aux États-Unis. Le processus de mise au point du traitement s’est accéléré après l’achat de Medarex par le géant américain des produits pharmaceutiques Bristol-Meyers Squibb en 2009, pour une somme de 2,4 milliards de dollars.

2014 : les débuts d’Opdivo

Lors des essais cliniques effectués aux États-Unis, le nouveau traitement a été administré à des patients atteints de tumeurs solides, y compris des cancers du poumon non à petites cellules, de la prostate, du côlon, ou du rein et des mélanomes malins. Et il s’est avéré efficace dans tous ces types de cancer. Le taux de réponse tumorale, c’est-à-dire le pourcentage de patients chez qui la tumeur a diminué ou disparu, a été de près de 30 % pour les mélanomes et les cancers du rein. Les résultats de ces tests ont été publiés en 2012 dans la prestigieuse revue médicale américaine The New England Journal of Medecine où ils étaient accompagnés d’un commentaire expliquant que le nivolumab avait obtenu le taux de réponse le plus élevé de tous les traitements par l’immunothérapie mis en œuvre depuis 30 ans. Certains patients avaient même eu droit à une période de rémission de plus d’un an.

Dans le même temps au Japon, les laboratoires pharmaceutiques Ono ont fait des essais cliniques de phase I, première administration à l’homme, sur des patients atteints de cancers du poumon non à petites cellules ou du rein pour évaluer la toxicité de la molécule, et ils ont obtenu des réponses favorables dans plusieurs cas. Ils ont donné la priorité au développement de ce produit pour le traitement des mélanomes, le type de cancer au pronostic le plus défavorable parmi ceux testés. C’est la première fois en 20 ans que des essais de phase II, qui consistent à déterminer la posologie optimale du produit en termes d’efficacité et de tolérance, étaient effectués sur des patients présentant des mélanomes.

En 2013, la revue américaine Science a qualifié le traitement du cancer par une immunothérapie à base d’anticorps de « progrès scientifique de l’année ». En juillet 2014, le Japon a autorisé l’utilisation du nivolumab commercialisé sous le nom d’Opdivo pour traiter les mélanomes, une première mondiale. En septembre 2014, les États-Unis ont fait de même et au mois d’octobre 2015, après des essais cliniques concluants, la FDA a approuvé le recours à l’Opdivo pour soigner les cancers du poumon non à petites cellules avancés ayant déjà fait l’objet d’une chimiothérapie sans résultats.

Opdivo, le traitement du cancer par l’immunothérapie tel qu’il est commercialisé au Japon par Ono Pharmaceutical. (Photo : Ono Pharmaceutical Co. Ltd.)

À l’heure actuelle, des essais cliniques avec le nivolumab sur d’autres types de cancer sont en cours et le champ des applications de ce traitement devrait continuer à s’étendre. Les laboratoires pharmaceutiques du monde entier sont par ailleurs en train de mettre au point plusieurs produits visant les points de contrôle (immune checkpoints) qui inhibent le système immunitaire.

En 2011, la FDA a autorisé les laboratoires américains Bristol-Meyers Squibb à utiliser l’ipilimumab, un anticorps monoclonal qui réactive le système immunitaire en s’attaquant à la protéine CTLA-4. Les protéines PD-1 et CTLA-4 sont toutes deux des molécules qui jouent le rôle de points de contrôle mais en verrouillant chacune les cellules immunitaires d’une façon différente. Leur utilisation combinée a considérablement amélioré le taux de réponse des tumeurs. En 2014, Honjo Tasuku et James P. Allison ont été les lauréats du premier Prix Tang de pharmacologie décerné à Taiwan par l’Academia Sinica dans le cadre des prix Tang, considérés comme les « prix Nobel de l’Est ». Ils ont reçu à cette occasion une somme de 50 millions de nouveaux dollars de Taïwan soit environ 1,5 million de dollars américains.

Suite > Un traitement très prometteur avec peu d’effets secondaires, mais extrêmement coûteux

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