Quand gourmandise rime avec plaisir

La naissance d’un super-aliment japonais, le « nattô »

Gastronomie

Le nattô : cet aliment fermenté de la nourriture japonaise se reconnaît entre mille, tant à son aspect visqueux qu’à son odeur caractéristique. Si le nattô en rebute plus d’un, les spécialistes, eux, sont unanimes, et vantent ses mille et un bienfaits pour la santé. Intéressons-nous donc à l’histoire de cet aliment et apprenons à le déguster.

Le nattô est un aliment traditionnel japonais composé de soja fermenté. Dit comme cela, cela ne semble pas très appétissant… Et c’est d’ailleurs ce que pensent certains, pour qui le nattô n’est qu’une abomination de la culture culinaire nippone pendant que d’autres ne lui trouvent que des bienfaits. Les uns sont répugnés par la texture-même du nattô et ne peuvent pas non plus supporter son odeur, tandis que les autres aiment tout en lui, que ce soit son aspect ou encore ses effluves. Nous l’avons bien compris, avec le nattô, c’est tout l’un ou tout l’autre. Toutefois, ils sont nombreux à s’intéresser à ces petites graines de soja fermentées en raison de ces bienfaits pour la santé. Riche en vitamines B et E et en protéines, le nattô est de plus en plus considéré comme un « super-aliment ». Quelle est donc son histoire ?

La légende du nattô

La méthode de préparation du nattô est somme toute assez simple ; des graines de soja cuites à la vapeur auxquelles on a ajouté le ferment nattô-kin (la bactérie Bacillus subtilis nattô). Le tout est préservé dans un environnement chaud pour fermenter et développer l’arôme et la texture que chacun lui connaît. Cependant, de là à savoir quand et où les Japonais ont commencé à préparer le nattô de cette manière, le mystère reste entier.

Le soja est cultivé au Japon depuis des milliers d’années. Selon certains experts, un produit similaire au nattô faisait partie de l’alimentation nippone dès la période Yayoi (vers 300 av. J.-C. - 250 ap. J.-C.), une théorie qui n’a pour l’heure cependant été confirmée par aucune donnée archéologique. Les premiers effluves de haricots fermentés apparaissent dans des documents datant du milieu de la période Heian (794-1185). On rencontre alors pour la première fois ces deux idéogrammes kanji côte à côte : 納豆. Toutefois, le terme aurait fait initialement référence à un type de soja fermenté complètement différent appelé shiokara nattô, ou « nattô salé ». Importé de Chine et associé au régime alimentaire des temples bouddhistes, il se prépare avec du kôji-kin, le même champignon utilisé pour le saké et la sauce soja. Ce shiokara nattô a certes un goût salé prononcé mais n’est, contrairement au nattô tel que nous le connaissons aujourd’hui, absolument pas collant.

La variante filandreuse du nattô est connue sous le nom d’itohiki nattô. Elle aurait été découverte à la fin de l’ère Heian par le célèbre guerrier Minamoto no Yoshiie (1039-1106). Lors d’une longue bataille avec des samouraïs indisciplinés dans les collines de Yokote (aujourd’hui dans la préfecture d’Akita), Minamoto no Yoshiie aurait manqué de fourrage pour les chevaux de son armée. Pour renflouer ses réserves, il aurait réquisitionné de grandes quantités de soja auprès des agriculteurs locaux, lesquels se seraient empressés de faire bouillir le soja en vue de le faire sécher au soleil. Seulement, le temps aurait manqué à Minamoto no Yoshiie et ce dernier aurait emporté les fèves encore fumantes dans des sacs faits de paille de riz. Après plusieurs jours, les fèves de soja, sous l’effet de la chaleur corporelle des chevaux, ont commencé à présenter des caractéristiques propres au nattô. Pour des raisons obscures, les soldats par cette odeur alléchés décidèrent de goûter ce fourrage et le trouvèrent fort à leur goût. Et le reste appartient à l’histoire.

Minamoto no Yoshiie, le père légendaire du nattô. Image extraite du Zenken kojitsu, un recueil de biographies de personnages célèbres écrites pendant la période Edo (avec l'aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).
Minamoto no Yoshiie, le père légendaire du nattô. Image extraite du Zenken kojitsu, un recueil de biographies de personnages célèbres écrites pendant l’époque d’Edo (avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).

Même si ce récit est à prendre avec des pincettes, il contient tout de même un grain de vérité (et même plusieurs) concernant l’origine du nattô. Jusqu’à ce que le scientifique japonais Hanzawa Jun parvienne à isoler la Bacillus subtilis au début du XXe siècle, et permette une production et une commercialisation en masse, chacun préparait son nattô de façon individuelle, en enveloppant des fèves de soja bouillies dans de petits sachets de paille de riz, ancêtre naturel du nattô-kin. Solide et disponible pratiquement n’importe où, la paille de riz était utilisée pour la fabrication de sacs ou encore de paniers pour conserver les aliments. Cette bactérie est donc déjà bien présente dans les fermes de l’époque. Au Japon, le soja est consommé depuis des temps immémoriaux et tient une place importante dans l’alimentation nippone. Minamoto no Yoshiie et ses chevaux affamés n’ont donc fait que précipiter un phénomène qui devait sans doute arriver tôt ou tard, cette fois-ci, sous une forme plus aboutie et plus résolue.

Le nattô, comme il était préparé autrefois, en enveloppant des graines de soja cuites dans de la paille de riz.
Le nattô, comme il était préparé autrefois, en enveloppant des graines de soja cuites dans de la paille de riz.

Comment le nattô se fait une place dans le quotidien des Japonais

Le premier écrit mentionnant le nattô dans sa version collante date de 1405. Il apparaît dans le journal de l’aristocrate kyotoïte Yamashina (Fujiwara) Noritoki. Il emploie l’expression itohiki daizu (littéralement « soja filandreux ») pour lui faire référence. On retrouve également le nattô plus tard à la fin des années 1400 dans un conte comique sur la nourriture anthropomorphique, où il apparaît sous les traits du samouraï du nom de « Nattô Tarô les mille fils », dénotant avec humour de la présence déjà bien établie du caractère collant du nattô.

Faisons un bond dans le temps. C’est à l’époque d’Edo (1603-1868) que le nattô devient un aliment récurrent dans la culture culinaire japonaise. Des assaisonnements peu coûteux comme la sauce soja se procurent de plus en plus facilement, permettant aux petites graines de soja fermenté de se faire une place dans les foyers nippons. Dans les zones rurales, on prépare soi-même son nattô mais dans des villes comme Edo (aujourd’hui Tokyo), Kyoto et Osaka, l’aspect commercial commence déjà à apparaître puisque des vendeurs arpentaient les rues pour vendre les précieuses graines.

Au départ, le nattô était consommé au petit déjeuner, principalement en hiver, la saison permettant probablement une meilleure conservation. Au fil du temps, le nattô fit son chemin, si bien qu’aujourd’hui, il est non seulement disponible toute l’année mais il a aussi et surtout su se faire une place dans les réfrigérateurs de nombreuses familles japonaises. L’appel reconnaissable des nattô-uri, les colporteurs de nattô, faisant leur tournée matinale est devenu partie intégrante du rythme de la vie urbaine, à tel point qu’il est même mentionné dans la poésie.

Scène de Jinrin kinmô zui (1690), une encyclopédie illustrée de l'humanité. On peut y voir un colporteur de rue (au premier plan) vendant des tataki nattô, des haricots fermentés mélangés à du tôfu et des légumes marinés (avec l'aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).
Scène de Jinrin kinmô zui (1690), une encyclopédie illustrée de l’humanité. On peut y voir un colporteur de rue (au premier plan) vendant des tataki nattô, des haricots fermentés mélangés à du tofu et des légumes marinés (avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque nationale de la Diète).

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