Games Workshop : figurine après figurine, bâtir un empire du hobby au Japon
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Les hobbyistes fans de Games Workshop sont légion dans des régions comme l’Europe et l’Amérique du Nord, mais la société anglaise, pionnière des figurines et des jeux de table, n’a pas encore atteint ce niveau de célébrité au Japon, où son statut ne dépasse guère celui de marque de niche. Toutefois, l’évolution récente de la situation laisse à penser que, après plus de deux décennies de navigation sur le marché protéiforme du hobby japonais, les choses sont en train de changer.
Au mois de mai, la firme, basée à Nottingham, a annoncé un projet commercial de conception et de distribution, par le géant japonais du jeu Bandai, d’une série de grandes figurines d’action et de miniatures stylisées dérivées des personnages de Games Worshop. À bien des égards, ce partenariat est le fruit des efforts de l’entreprise en vue de renforcer sa présence dans l’Archipel, et les perspectives de croissance dans le pays de Gundam sont prometteuses.
Une nouvelle direction
Aux termes de l’accord de licence, Bandai produira une figurine d’action haute de 18 centimètres tirée du célébrissime jeu de plateau « Warhammer 40 000 ». Les aperçus mis en ligne et présentés lors d’événements hobby ont déclenché une vague d’effervescence à propos de la taille du modèle, des jointures mobiles et des armes interchangeables, autant de caractéristiques qui diffèrent des figurines habituelles de Games Worshop. Mais Bandai, qui vise à un haut degré d’authenticité, aurait, dit-on, engagé des consultations rapprochées avec Jes Goodwin, le principal créateur de la série des Warhammer 40 000.
Bandai s’est moins préoccupé de rester fidèle à l’original dans son autre produit, une gamme de figurines de cinq centimètres destinées aux gashapon, les distributeurs automatiques de jouets capsules que l’on trouve partout sur l’Archipel. Les miniatures, cinq en tout, ont été conçues dans un style, connu sous le nom de « super-déformé », qui se joue délibérément des proportions entre les parties. Bandai vendra les figurines en boîtes anonymes, si bien que les collectionneurs ne sauront pas ce qu’ils ont acheté avant d’avoir ouvert l’emballage...
Le partenariat a été une source de surprises chez certains experts, notamment en ce qui concerne les antécédents de Games Workshop en matière de souci de préserver sa propriété intellectuelle. Mais James Long, le directeur des ventes de la société au Japon, insiste sur le fait que les collaborations avec Bandai et d’autres sociétés japonaises de hobby, au même titre que le partenariat avec Funko, un fabricant américain de figurines en vinyle, sont révélateurs d’un changement d’approche. « Depuis quelques années, nous nous sommes ouverts à l’idée de faire des choses différentes », dit-il.
Long affirme que le partenariat avec Bandai est né d’un intérêt mutuel. « Ils ont commencé à s’intéresser à nos produits au Japon à peu près à la même époque où nous planchions sur l’idée de faire quelque chose dans le genre des jouets capsules. » Une fois les discussions amorcées entre les deux parties, les figurines d’action, un article basique pour Bandai, sont naturellement venues sur le tapis, après quoi les deux sociétes sont passés aux accords de licence. Long déclare avec une pointe de fierté que, si le siège de la société en Angleterre s’est chargé du plus gros du travail, le bureau de Tokyo a fait sa part pour ce qui est d’amorcer le processus.
La date de lancement des figurines n’a pas encore été fixée, mais Bandai annonce d’ores et déjà que leur distribution se fera à l’échelle mondiale. Contrairement aux miniatures de Games Workshop, les nouveaux produits seront intégralement peints. Toutefois, précise Long avec un sourire, cela ne devrait pas dissuader les fans de repeindre complètement les modèles ou d’y ajouter une touche personnelle.
Le lancement
Fondée à Londres en 1975, Games Workshop a introduit sa marque distinctive de hobby au Japon vers 1987. Au début, l’entreprise plaçait ses miniatures et autres articles chez des petits détaillants indépendants. Il ne lui fallut pas longtemps pour prendre pied sur le marché proliférant des figurines et, dès le début des années 2000, elle avait ouvert neuf boutiques spécialisées dans des fiefs de la culture branchée tels que le quartier Jinbôchô de Tokyo et Nakano Broadway, à l’ouest de la métropole, le QG des otaku.
L’activité s’est déployée pendant plusieurs années avec une équipe de traduction qui concoctait des versions japonaises des volumineux règlements et manuels d’utilisation qui constituent l’épine dorsale de Games Workshop. Mais l’entreprise a procédé en 2010 à une restructuration mondiale de ses opérations, à l’issue de laquelle il ne restait au Japon que deux boutiques et un petit groupe de vendeurs indépendants. Les dirigeants installés en Angleterre ont en outre coupé les vivres à l’équipe de traduction, si bien que les boutiques et les revendeurs ont dû se contenter de versions anglaises verbeuses, souvent impénétrables pour les clients japonais.
Malgré le socle de fans et le potentiel de créneau qui ont aidé l’entreprise à surmonter la crise, les affaires étaient loin de prospérer. Dans un contexte de pénurie d’offres en japonais, Games Workshop s’est démenée pour être en résonnance avec les clients potentiels, et notamment le très important marché de la jeunesse.
Un nouveau départ
Après avoir quitté les fonctions qu’il occupait dans la vente au détail au siège de Games Workshop aux États-Unis, Long est venu au Japon en 2015 avec pour mission de renforcer la présence de la société dans ce pays. Il a rejoint la petite équipe en charge du bureau de Tokyo — cinq personnes avant son arrivée — et s’est dédié à l’ouverture de nouvelles boutiques et à l’augmentation de l’effectif des détaillants indépendants.
Malgré le choc que fut pour lui le changement d’échelle : il n’y avait que deux boutiques spécialisées au Japon, contre 90 environ aux États-Unis. Long tient à préciser que le ressenti sur le terrain lui était familier. « Les gens qui venaient dans les boutiques adoraient assembler les modèles, les peindre et jouer avec », explique-t-il. Mais en parlant avec les clients et les détaillants, il s’est vite rendu compte que le fait de ne disposer d’informations qu’en anglais n’était pas bon pour les affaires.
L’une des premières mesures que prit l’équipe de Tokyo pour remédier à la situation consista à s’asseoir autour d’une table pour traduire en japonais les règles du jeu basique Betrayal at Calth. Au grand soulagement de tous, ce produit, dont le thème est tiré de Warhammer 40 000, s’est bien vendu, même si Long concède avec un sourire désabusé qu’au début les gens étaient plus excités par les miniatures que par le jeu lui-même. Quoi qu’il en soit, il déclare que le produit a répondu à ce qu’on attendait de lui dans la mesure où il a initié des nouveaux venus au style de hobby de Games Workshop.
Ce triomphe a relancé les conversations avec le siège anglais en vue d’accroître le nombre des produits de lancement en langue japonaise. Le coup d’envoi a été donné quand Games Workshop a sorti une nouvelle édition de sa série très populaire Warhammer 40 000. La société a en outre lancé au Japon une gamme toute neuve, baptisée Space Marine Heroes. Les figurines, vendues individuellement ou en lot, ont rencontré un franc succès, et la troisième édition doit être mise en rayons avant la fin de l’année 2019.
Mais la création de versions japonaises des produits ne va pas sans problèmes. Games Workshop utilise un jargon indélébile qui lui est propre, et Long estime que sa transposition dans la langue japonaise a été l’un des premiers défis auxquels il s’est heurté. « Nous avions perdu toutes les anciennes traductions », se souvient-il. Les traducteurs se sont trouvés contraints de concocter un style japonais qui soit en résonance avec les clients tout en restant fidèle au sens original de la série. Long soutient que, après d’innombrables allées et retours entre l’équipe de traduction et le bureau de Tokyo, tous les obstacles linguistiques ont fini par être surmontés.
Shirane Ryûji, en charge de la boutique de la société à Tachikawa, à l’ouest de la métropole tokyoïte, insiste sur la nécessité d’adapter les produits au marché japonais. Nombre de nouveaux clients viennent, dit-il, parce qu’ils ont envie de peindre des figurines, et ils mordent à l’hameçon en découvrant les histoires et les antécédents des personnages. « Il n’y a pas beaucoup de marques au Japon qui approchent la profondeur qui est la nôtre », affirme-t-il. « Au cours des trente dernières années, nous avons accumulé un volume sidérant de traditions. »
Agrandir l’entreprise
Le partenariat qu’elle a noué avec Bandai n’est pas le premier de ce genre pour Games Workshop. Lors du lancement de ses Space Marine Heroes, l’entreprise s’est tournée vers la société de modélisation Max Factory pour lui demander de l’aider à distribuer ce produit. Elle a également signé un accord de licence avec Prime 1 Studio, un fabricant tokyoïte de figurines et de statues luxueuses et réalistes.
Mais c’est la relation avec la revue de longue date Hobby Japan qui s’est avérée l’une des plus profitables en termes de renforcement de la position de Games Workshop. En 2018, ce titre, l’un des plus prestigieux de ce secteur depuis 50 ans, a sorti une édition spéciale de 95 pages, toute en couleur, où Games Workshop était omniprésente à travers ses personnages traditionnels, ses jeux dirigés de peinture et ses interviews avec des hobbyistes japonais de renom. Long rend hommage à la revue pour avoir fait connaître la marque parmi les hobbyistes japonais : « Après la sortie de l’édition spéciale, les gens qui avaient entendu parler de nous en la lisant ont commencé à venir dans nos boutiques pour en savoir plus. »
Games Worshop, qui a aujourd’hui huit boutiques spécialisées sur le territoire japonais — six dans la région du Kantô et deux au Kansai —, projette d’en ouvrir en beaucoup plus grand nombre. Long dit que le Japon est désormais synchronisé avec l’agenda du studio, ce qui veut dire que les nouveaux produits et séries comportent des versions japonaises.
Le bras japonais de l’entreprise a pris du temps pour se remettre en scelle, mais Long, qui est sûr de sa réussite, s’exclame : « Je crois fermement qu’un avenir radieux nous attend. »
(D’après un original en anglais. Photo de titre : prototype de la figurine d’action Space Marine de Bandai exposé au Salon international du jouet de Tokyo de 2019)