La vérité sur la firme Dentsû : un succès à quel prix ?

Société Travail

Yokoyama Yôji [Profil]

Dentsû, la plus grande agence de publicité du Japon, est connue pour ses « dix règles du démon », qui engagent chaque employé à donner leur maximum pour assurer le succès de la firme. Au cours de ses 20 ans de carrière avec ce géant nippon, Yokoyama Yôji a tout vu, des bizutages forcés aux extrêmes compétences du personnel. Il témoigne de son expérience pour nous, en tentant de casser les « on-dit » et rétablir la vérité.

Des employés pistonnés tenus en « otage »

Le mot-clé suivant dont je voudrais parler concerne les relations. Mes étudiants m’ont souvent demandé s’il était courant pour Dentsû de recruter des personnes en raison des liens qu’ils entretenaient avec les haut placés dans divers domaines. Il y avait en effet beaucoup d’employés qui avaient soit un parent au conseil d’une grande entreprise commanditaire, d’un réseau de télévision ou d’un journal, soit un parent qui était un réalisateur célèbre ou une star d’émission de variétés. Souvent, en apprenant le nom de famille d’un collègue, je pouvais me faire une image mentale de leur père. Par ailleurs, les tabloïds ont récemment rapporté que Dentsû avait embauché le frère d’un artiste membre d’un groupe pop bien connu...

Une personne embauchée grâce à ses relations servait d ‘« otage », ce qui encouragerait l’entreprise connectée par son biais à poursuivre ses relations avec Dentsû. Cela ne voulait cependant pas dire que la nouvelle recrue « pistonnée » n’était pas compétente. Un nombre surprenant de personnes dans cette catégorie avaient un potentiel considérable en eux. Beaucoup de ceux qui ont été recrutés pour leurs relations sont donc devenus des employés très performants.

Une autre expression souvent utilisée dans les médias pour décrire l’entreprise est qu’elle entretient de « confortables relations avec les politiciens ». La perception selon laquelle Dentsû collabore avec les dirigeants politiques est courante chez les journalistes et fait désormais partie du « folklore » associé à l’entreprise. J’ai étudié les campagnes électorales à l’université. Le Parti libéral démocrate (PLD, au pouvoir) était également l’un des partenaires de Dentsû à mon époque, et la société a obtenu des contrats pour gérer les communications du parti, y compris pour les campagnes électorales. Ces services font toujours partie de ses activités commerciales quotidiennes.

Des liens avec les politiciens ?

Cependant, ces activités visent simplement à aider les partis politiques à communiquer, par voie de publicité au moment de l’élection et par d’autres messages similaires. Lors de mon travail chez Dentsû, je n’ai jamais entendu parler de pressions sur des membres de la Diète pour des appels d’offres, contrairement à ce que les journalistes imaginent. En ce qui concerne le dernier scandale sur le fonds de secours pour les entreprises touchées par le coronavirus, qui a été géré — beaucoup disent « mal géré » — par l’entreprise, certains journalistes disent de manière convaincante que Dentsû avait explicitement demandé le contrat aux membres de la Diète. En vérité, cela est impossible.

J’ai été encore plus surpris d’apprendre qu’au mois de mai, des reporters de grands journaux avaient joué chez eux au mahjong pour de l’argent avec le chef d’un organisme gouvernemental (en l’occurence Kurokawa Hiromu, le procureur général de Tokyo, un proche de l’ancien Premier ministre Abe Shinzô). Je pense qu’il est plus courant pour les journalistes de nouer des relations chaleureuses avec des politiciens et des fonctionnaires pour obtenir des informations. Ces journalistes font ensuite des analogies avec leur propre expérience et se mettent en tête que Dentsû se rapproche des membres de la Diète et s’infiltre également dans la fonction publique, perpétuant ainsi le mythe selon lequel l’entreprise entretient des liens étroits avec les politiciens.

Je vais maintenant partager quelques phrases alternatives pour vous donner une idée de ce à quoi ressemblent vraiment les employés de Dentsû, sur la base de mes 20 années de travail là-bas.

Beaucoup de ces expressions sont positives, telles que « très motivés », « possédant des centres d’intérêts variés », « susceptibles d’épouser une célébrité », « très performants », « créatifs », « sensibles aux tendances », « possédant des capacités de leadership »,« dotés de bons instincts dans de nombreuses situations » et « donnant toujours la priorité au client ».

Cependant, il y en a aussi beaucoup avec des associations négatives, telles que « harcelés par le marketing interne », « écrasés par le travail », « arrogants », « doués uniquement pour déléguer les tâches », « toujours prêts à revendiquer le mérite du succès des autres », « trop zélés », et « compétitifs ».

Il n’y a pas de place pour expliquer pleinement toutes ces phrases ici, alors je vais expliquer quelques termes sélectionnés qui, je crois, sont à l’origine du succès de Dentsû.

Le talent qui conduit au succès

Parlons de l’ancien employé de Dentsû (que j’appelerai « H ») qui est au centre du récent scandale impliquant l’externalisation par le gouvernement de son travail administratif pour un programme de secours aux entreprises dans le cadre de la crise du Covid-19, un travail confié à Dentsû.  H illustre parfaitement l’expression « très performant » associée aux employés de la compagnie.

Il a rejoint l’entreprise en même temps que moi, et nous avons travaillé ensemble sur plusieurs projets (H a quitté Dentsû en 2019). Un jour, alors que j’étais dans une salle de réunion, écrivant avec diligence les détails de l’approche de mon équipe pour une présentation sur le tableau blanc, H est arrivé. Après s’être arrêté et avoir regardé ce que j’avais écrit pendant quelques secondes, il est entré dans la pièce, a apporté quelques modifications en rouge, puis est sorti. Mon équipe a fini par créer et soumettre cette proposition, conformément aux modifications apportées par H, et a remporté l’offre.

J’étais souvent avec H lors de réunions, et son œil stratégique et sa capacité de conception des affaires le démarquaient toujours du troupeau, même parmi le personnel uniformément performant de Dentsû. Je n’ai jamais rencontré une autre personne là-bas qui ait surpassé ses capacités en matière de conception des affaires, et je doute qu’il y ait quelqu’un de son calibre chez l’un de nos concurrents.

Ôkubo Yūji (à gauche), directeur représentant du Conseil de service et de conception d’ingénierie, un affilié de Dentsû, et le directeur exécutif du Conseil, Hirakawa Kenji, s'adressent aux médias le 8 juin 2020 au sujet de leur administration des subventions gouvernementales. (© Jiji)
Ôkubo Yûji (à gauche), directeur représentant du Conseil de service et de conception d’ingénierie, un affilié de Dentsû, et le directeur exécutif du Conseil, Hirakawa Kenji, s’adressent aux médias le 8 juin 2020 au sujet de leur administration des subventions gouvernementales. (© Jiji)

Dans tous les domaines créatifs et promotionnels dans lesquels Dentsû est impliqué, vous trouverez de nombreux autres employés comme H. Je pense que c’est là le secret du succès de l’entreprise.

Cependant, cette réussite dans son ensemble ne peut s’expliquer par ces seuls éléments. En effet, les services de communication (réception et diffusion d’informations relatives aux campagnes publicitaires institutionnelles et politiques) et les services de solutions (services de résolution des problèmes des clients) que Dentsû fournit ne peuvent être effectués par des individus seuls.

Suite > Toujours la jouer collectif

Tags

entreprise société travail harcèlement

Yokoyama YôjiArticles de l'auteur

Né à Nagoya en 1968. Il étudié les sciences politiques, à la fois à l’Université de Waseda et aux États-Unis, avant de rejoindre la société Dentsû en 1992. A été engagé en 2009 pour diriger l’équipe de projet environnemental dans le groupe de planification sociale. Depuis 2010, il dirige le développement des affaires sociales dans le groupe des solutions sociales. En 2012, il quitte cette fonction pour occuper un poste de professeur agrégé d’études internationales à l’Université des études étrangères de Nagoya. Il quitte l’établissement en 2020 pour occuper des postes de conférencier à l’Université Tôkai Gakuin et à l’Université des Arts de Kyoto. Il travaille également en tant que consultant et producteur dans le domaine de la publicité.

Autres articles de ce dossier