La vérité sur la firme Dentsû : un succès à quel prix ?

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Yokoyama Yôji [Profil]

Dentsû, la plus grande agence de publicité du Japon, est connue pour ses « dix règles du démon », qui engagent chaque employé à donner leur maximum pour assurer le succès de la firme. Au cours de ses 20 ans de carrière avec ce géant nippon, Yokoyama Yôji a tout vu, des bizutages forcés aux extrêmes compétences du personnel. Il témoigne de son expérience pour nous, en tentant de casser les « on-dit » et rétablir la vérité.

Regard sur mon passé chez Dentsû

Au moment où j’ai été approché pour écrire cet article sur Dentsû, je recevais déjà de fréquentes demandes de la part des médias pour commenter la récente affaire dans laquelle le géant de la publicité avait administré un fonds de secours gouvernemental pour venir en aide aux enteprises touchées par le crise du Covid-19. J’avais donc plus de raisons que d’habitude de reconsidérer mes 20 ans passés au sein de la firme.

J’imagine que les médias ont préféré s’adresser à moi plutôt qu’à une personne actuellement employée chez Dentsû, parce qu’ils pensaient que je pourrais commenter plus librement… Mais la raison principale doit probablement être la parution de mon livre en avril 2020, « Passer de la vie d’entreprise à la vie universitaire : la lutte d’un ex-employé de Dentsû » (Éd. Yuiport).

J’ai commencé ma carrière universitaire en 2012. J’étais à l’époque exclusivement affilié à l’Université des études étrangères de Nagoya (NUFS). Je donnais un cours aux étudiants de première année intitulé « Comprendre les entreprises ». Chacun des quelque quinze élèves de ma classe devait choisir une société parmi la liste que je leur proposais, et en faire une présentation de 15 minutes. Dentsû y figurait. Chaque année, quelqu’un en faisait donc un rapide exposé.

Dans cet article, je considérerai certaines phrases clés que mes élèves ont souvent utilisées pour décrire Dentsû dans leurs présentations (dont certaines frôlaient la légende urbaine…), ainsi que certains propos que les journalistes utilisent souvent pour décrire Dentsû lorsqu’ils m’interrogent, dans le but de casser les « on-dit » et rétablir la vérité. Je proposerai ensuite des expressions alternatives qui décrivent mieux à quoi ressemblent vraiment les employés de Dentsû, tels que j’ai pu les observer en travaillant à leurs côtés. Ce faisant, j’espère élucider le secret du succès de la firme.

Une entreprise perçue comme machiste et militariste

Dans les termes de mes étudiants, Dentsû a une culture d’entreprise « macho et militariste ». L’idée reçue est que 30 % à 40 % de ses employés faisaient partie d’équipes sportives à l’université, et c’était certainement le cas à mon arrivée. Lorsque j’ai rejoint cette société, elle avait une culture rigoureusement hiérarchisée, qui faisait justement penser à celle d’une équipe sportive universitaire.

À Dentsû, les nouvelles recrues sont formées dans un style vraiment martiale. La salle utilisée pour former les nouvelles recrues était au treizième étage du siège social de Tsukiji (c’était avant le déménagement de l’entreprise à Shiodome). Pendant nos trois mois de formation, nous n’étions pas autorisés à utiliser les ascenseurs, nous avons donc dû prendre les escaliers. Chaque matin, avant le travail, nous montions les 13 volées d’escaliers menant à cette salle, telle une procession militaire. C’était en partie pour nous préparer à l’ascension du mont Fuji que toutes les nouvelles recrues devaient accomplir. Lors de mon année de recrutement, la première à atteindre le sommet était une femme qui avait récemment remporté un championnat national de triathlon, c’est dire !

Rites d’initiation et bizutage à la dure

Monter les escaliers n’était toutefois que le début. Ce n’est qu’à la « fête de bienvenue » des nouvelles recrues affectées à la branche de Nagoya, organisée indépendamment par les employés subalternes de cette branche, que j’ai véritablement été initié à l’institution macho et militariste qu’est Dentsû.

En référence aux Jeux Olympiques de Barcelone qui étaient sur le point d’avoir lieu, le personnel avait organisé dix événements pour les petits nouveaux, que nous devions tous exécuter nus, dans le style des Jeux Olympiques antiques.

Alors que bon nombre des autres recrues (toutes masculines) étaient athlétiques, j’étais tout à fait le contraire, joufflu et non sportif, et j’ai dû endurer l’humiliation d’être le dernier. Je n’étais pas non plus à la hauteur de mes collègues, tous bien bâtis, lors des jeux à boire ou de compétitions pour avaler le plus rapidement possible des « Dentsû manjû », des pâtisseries au haricot rouge surdimensionnées, à peu près aussi gros que le visage. Chaque employé en reçoit lors de l’anniversaire de la fondation de l’entreprise.

Nous avons donc été contraints de participer à toutes les compétitions, l’une après l’autre, et dont certaines d’entre elles ne peuvent décemment être misent à l’écrit. À cette époque, nous devions promettre une obéissance totale à nos supérieurs, encore une fois, tout comme les militaires…

Pourrais-je survivre dans un environnement aussi rude ? Au début, je n’en savais rien…

Plus tard, j’ai appris que la cérémonie d’initiation au siège social était encore plus punitive ! Heureusement, Dentsû a mis un terme à ces cérémonies d’initiation il y a 20 ans. Alors que ce genre de harcèlement flagrant serait évidemment impensable de nos jours, le pourcentage élevé des recrues des clubs sportifs universitaires reste actuellement inchangé.

D’ailleurs, au passage, la firme publicitaire Hakuhôdo, le rival de Dentsû, a un environnement bien plus collégial, dans lequel les employés juniors ont des relations plus chaleureuses et plus amicales avec leurs supérieurs. C’est en tout cas un fait indiscutable dans le milieu.

Il est largement admis que la culture de groupe macho et militariste de Dentsû, qui n’a surgi en premier lieu qu’en raison du peu de respect pour la conformité à l’époque, a formé le fondement de l’association entre l’entreprise et le harcèlement, l’exploitation et les décès dus au surmenage (karôshi) qui sont si souvent mentionnés dans les médias. Cependant, on ne peut pas contester que cette culture a également contribué au succès de Dentsû, comme je le démontrerai plus tard.

Suite > Des employés pistonnés tenus en « otage »

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Yokoyama YôjiArticles de l'auteur

Né à Nagoya en 1968. Il étudié les sciences politiques, à la fois à l’Université de Waseda et aux États-Unis, avant de rejoindre la société Dentsû en 1992. A été engagé en 2009 pour diriger l’équipe de projet environnemental dans le groupe de planification sociale. Depuis 2010, il dirige le développement des affaires sociales dans le groupe des solutions sociales. En 2012, il quitte cette fonction pour occuper un poste de professeur agrégé d’études internationales à l’Université des études étrangères de Nagoya. Il quitte l’établissement en 2020 pour occuper des postes de conférencier à l’Université Tôkai Gakuin et à l’Université des Arts de Kyoto. Il travaille également en tant que consultant et producteur dans le domaine de la publicité.

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