
Tokyo, une ville en perpétuelle métamorphose
Le Tokyo indomptable : Shibuya à la croisée des chemins
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Le Nouvel An s’invite au carrefour de Shibuya
Halloween 2015 n’a pas été la première occurrence d’une ruée sur le carrefour de Shibuya. Les fêtards du Nouvel An y affluent chaque année depuis 2001. À la fin de l’année 2016, la municipalité de Shibuya a célébré une cérémonie du compte à rebours sur une estrade dressée à côté du carrefour, renonçant à cette occasion à sa politique précédente d’installation de barricades pour bloquer l’accès des piétons aux rues adjacentes pendant deux heures avant et après minuit. L’événement a tourné au chaos et il y a même eu des arrestations quand des milliers de jeunes gens ont déferlé sur le carrefour avant minuit. Suite à cela, les autorités ont déclaré la zone exclusivement piétonnière, dans l’espoir que les festivités de l’année suivante seraient plus paisibles. Mais cette mesure n’a fait qu’attirer des foules encore plus nombreuses, qui, inspirées par l'horloge sur l'écran géant de l’intersection, se sont mises spontanément à faire un compte à rebours jusqu’à minuit, avec en point d’orgue un « Bonne année ! » crié à tue-tête.
Le compte à rebours du Nouvel An est désormais inscrit au calendrier et il est parrainé par des entreprises. La version 2017 a été sponsorisée conjointement par Sony et Nintendo, et en 2018, Coca-Cola Japon, dont le siège est situé à Shibuya, est entré dans la danse en distribuant des « bouteilles de la chance » tandis que des images du produit étaient projetées sur un écran géant et qu’un acteur vedette de films publicitaires de la firme dirigeait le compte à rebours.
La foule célèbre le Nouvel An au carrefour piéton de Shibuya le 1er janvier 2019. (Jiji Press)
La Coupe du monde de football en 2018 a donné lieu à des scènes de tapage similaires. À tous les feux de signalisation, des milliers de fêtards échangeaient des salutations en traversant et retraversant la rue. Le spectacle de ces jeunes gens en train de faire la fête tout en respectant les feux de signalisation avait quelque chose de comique (voir la scène de fête en vidéo).
Des fans de football échangent des salutations sur le carrefour piéton de Shibuya après la victoire du Japon à l’issue de son premier match, contre la Colombie, lors de la Coupe du monde en Russie, le 19 juin 2018. (Jiji Press)
Le côté sombre de Shibuya
Les festivités spontanées et la confusion qui règnent autour du carrefour piéton sont à mes yeux une fissure dans les dispositifs sur lesquels les autorités et les entreprises se reposent pour le maintien de l’ordre depuis longtemps. La prolifération des religions « new age » dans ce quartier peut aussi être interprétée comme la manifestation de ce genre de déchirure. Rappelons que c’est un immeuble d’habitation proche de la gare de Shibuya que le gourou de la secte Aum, Asahara Shôkô, a choisi pour y installer sa « salle de yoga » où il se réunissait avec ses adeptes. La secte Aum a été responsable des attaques au gaz sarin de 1995 qui ont tué 13 personnes et en ont blessé plus de 6 000 dans le métro de Tokyo (voir notre article lié).
Shibuya a également été le foyer des activités de Hônohana Sampôgyô, une secte étrange qui pratiquait la lecture du pied et a brièvement attiré l’attention du public japonais en 2000. Avant la dissolution du groupe en 2001, consécutive à l’arrestation de son chef accusé de fraude, Hônohana occupait des locaux somptueux à proximité du grand magasin Tôkyû de Shibuya, juste à côté de la très controversée Église de l’Unification, qui est toujours au même endroit...
On peut aussi voir des films et des dessins animés où Shibuya est représenté comme un endroit obscur et louche. Dans Resident Evil : Afterlife, mis en scène par Paul W.S. Anderson, un dépôt secret d’armes biologiques est installé sous le carrefour piéton. Dans The Boy and the Beast (Le garçon et la bête), de Hosoda Mamoru, les ruelles de Shibuya sont les portes d’entrée d’un royaume bestial et, dans Tokyo Ravens, de Kanasaki Takaomi, Shibuya abrite une école de magiciens onmyôji.
La zone est actuellement au cœur d’un gigantesque projet de rénovation mené par le groupe Tôkyû, qui exploite le chemin de fer du même nom. Des immeubles de bureau design sont en construction, tandis que quartiers d’affaires et zones commerciales se mettent en place. L’envers du décor, c’est que le réseau déjà labyrinthique des passages souterrains de Shibuya est en train de devenir de plus en plus inextricable, au grand dam des piétons ! (Voir notre dossier sur la rénovation de Shibuya)
Grues et autres équipements de construction autour le la gare de Shibuya, le 20 février 2019. (Jiji Press)
Le Shibuya Hikarie, une tour polyvalente ouverte en 2012 à l’est de la gare de Shibuya, fait partie du projet de réaménagement du quartier. Le bâtiment tire son nom du mot japonais hikari, signifiant « lumière ». Pourtant, quelles que soient les rénovations apportées à Shibuya, le débat sur la nature de la nouvelle culture qui va émerger du chaos actuel ne peut pas ignorer le côté sombre de ce quartier. Il sera intéressant d’observer si Shibuya parviendra à préserver son caractère semi chaotique, ou si au contraire il deviendra le foyer d’un éclat sans faille sous le contrôle des pouvoirs publics et du grand capital.
(Photo de titre : le carrefour piéton de Shibuya grouillant de fêtards célébrant Halloween le 31 octobre 2018. Jiji Press)