Être noir au Japon : une expérience loin des idées reçues

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Warren A. Stanislaus [Profil]Serah Alabi [Profil]

Quand les manifestations liées au mouvement Black Lives Matter se sont étendues des États-Unis au Japon et dans de nombreuses autres parties du monde, beaucoup ont été tentés de voir la réalité des populations afro-descendantes uniquement en termes d’oppression et de discrimination. Mais les histoires racontées par les résidents noirs du Japon révèlent une expérience beaucoup plus diversifiée et souvent plus positive que les médias ne le suggèrent.

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Un thème qui traverse presque toutes les conversations de Ranzo avec des expatriés noirs au Japon est le « sentiment palpable de sécurité ». Les personnes interrogées citent régulièrement les craintes de brutalités policières, de racisme anti-noir et de troubles dans les quartiers pauvres de leur propre pays, et comparent ces inquiétudes au sentiment de liberté qu’ils ressentent au Japon.

De même, ces conversations donnent l’impression qu’au Japon, il existe de véritables opportunités de se construire une vie et d’explorer librement son identité simplement en fonction de ses intérêts, de son talent et de son travail acharné. Les expatriés ne doivent pas constamment lutter contre les barrières institutionnelles qui entravent l’avancement des Noirs. Ils ne sont pas non plus sous la suspicion d’un « regard blanc » qui fonctionne comme un système de surveillance invisible pour la police et limite l’expression des Noirs.

Les femmes noires ne sont pas réduites au silence sur la base du stéréotype de la « femme noire en colère », mais sont inspirées à trouver leur voix en créant des plateformes et des communautés pour raconter leurs histoires. Le Japon permet l’autonomisation des individus, parce que ce pays peut fournir un espace sûr pour respirer. Et ce sentiment se propage à un niveau beaucoup plus large, comme l’a démontré l’émergence de médias destinés aux black millenials où les histoires d’Afro-Américains déménageant pour échapper au racisme gagnent rapidement en popularité.

Il est désormais courant d’avoir des visages blancs dans les médias, dans les publicités, en prenant des rôles de professeurs ou de touristes. Par conséquent, surtout dans les grandes villes, les individus blancs peuvent se sentir comme des « étrangers familiers » pour les locaux.

Sans aucun doute, les noirs au Japon se distinguent du reste de la population.Les Afro-descendants sont encore rares et peuvent attirer à la fois curiosité et confusion. Pourtant, les Noirs ne sont généralement considérés que comme un « autre type d’étranger ». Ils sont regroupés dans la plus grande méta-catégorie de gaikokujin (« étranger »), qui est principalement appliquée aux non-Japonais visiblement différents d’apparence. Ce fait peut ironiquement niveler.

Lorsque les usagers des transports japonais hésitent à s’asseoir à côté d’un étranger noir dans le train (c’est très rare mais cela arrive), ils agissent de même envers un étranger blanc et renoncent à cette occasion prisée de s’asseoir sur une ligne de train bondée. Les étrangers au Japon partagent donc cette expérience d’être « différenciés » par les locaux japonais. Il existe des maisons d’hôtes pour les étrangers, des dortoirs universitaires pour les étudiants internationaux et, sur le lieu de travail, des collègues non-Japonais développent souvent des amitiés basées sur une langue commune ou sur leur statut d’étranger.

Cela peut créer une dynamique où les étrangers au Japon habitent des espaces similaires et peuvent gagner une forme de solidarité en tant que minorité. Alors que les réseaux au sein des autres pays peuvent être moins diversifiés ethniquement, et se forment parfois inconsciemment autour de clivages raciaux ou culturels, le Japon crée un environnement où des personnes d’horizons complètement différents se lient, trouvent des points communs et regardent au-delà de leur couleur de peau. Pour de nombreux Noirs, en particulier les personnes issues des sociétés occidentales, le fait d’être traité de la même manière que les autres minorités, le fait d’être simplement « un autre étranger » (pour les Japonais) et « un étranger comme moi » (par les autres étrangers), peut bien être la première fois qu’ils éprouvent ce sentiment d’être simplement une autre personne, sans discrimination vis-à-vis de leur couleur.

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Warren A. StanislausArticles de l'auteur

Né à Londres. Doctorant en histoire à l’Université d’Oxford (Pembroke College). Chercheur invité du programme Soft Power du Centre de stratégies d’établissement des règles de l’Université Tama, à Tokyo. Titulaire d’une licence ès lettres (BA) de l’Université chrétienne internationale (ICU) de Tokyo (2011) et d’une maîtrise (MPhil) de l’Institut d’études japonaises de l’Université d’Oxford (2013). A été chercheur à l’Asia Pacific Initiative (AP Initiative), un think tank indépendant basé à Tokyo.

Serah AlabiArticles de l'auteur

Écrivaine et photographe d’origine nigéro-allemande basée à Tokyo. En tant que narratrice visuelle, elle a collaboré avec de nombreuses marques mondiales sur des projets créatifs et a organisé plusieurs expositions sur une variété de thèmes, notamment la mode, la diversité ethnique et les échanges culturels entre l’Afrique et le Japon. Elle est diplômée d’une maîtrise de l’Université Bunka Gakuen, pour laquelle son sujet de recherche était le regard féminin en photographie.

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